Récit silencieux d’une vie brisée

Un coup de cœur du Carnet

Éric LAMBÉ, Philippe DE PIERPONT, Paysage après la bataille, Actes Sud et Frémok, 2016, 432 p, 29 €   ISBN : 9782330069988

lambeEn s’ouvrant sur un paysage après la bataille, scène reconstituée d’un combat historique exposée dans un musée régional, le récit, d’emblée, donne le ton. La scène est figée, le temps s’est arrêté après un moment d’extrême violence. Il en est de même pour la vie de Fany, le personnage central de cet album, dont on comprend vite qu’un douloureux événement, que l’on découvre au fil de quatre cent trente-deux pages de ce roman graphique, a dévié sa vie de sa trajectoire. Depuis, elle semble assister à son existence en spectatrice muette.

Fany se réfugie dans un camping-caravaning, loin du monde, loin de sa vie d’avant. Elle tente de s’y reconstruire à l’écart de tout, nouant un semblant de vie sociale avec les rares habitants qui y vivent plus ou moins en transit. Un couple de retraités, un amateur de puzzles et un ancien boxeur au passé trouble.

Le silence domine : le texte, rare, est succinct quand il est présent. Le minimalisme du dessin aussi bien que de l’écrit confère aux éléments présents d’autant plus de densité. L’histoire se construit avec peu de choses. C’est qu’il suffit de peu de mots pour dire l’indicible. Et ce silence qui entoure Fany ne fait qu’accentuer son inacceptable solitude.

À l’existence quotidienne et banale des personnages viennent se mêler des hallucinations ou rêveries cauchemardesques éveillées. Des scènes qui diffusent un malaise, et dont la violence laisse présager le pire.

Les auteurs font ici preuve d’une grande maitrise de la composition de la page, même lorsqu’elle ne comporte que peu d’éléments. Par la juxtaposition ou superposition des cases, Éric Lambé crée de nouvelles images, donne un sens nouveau à certains motifs. Les dessins sont épurés, parfois jusqu’à l’extrême. Les auteurs distillent peu à peu les éléments narratifs, prenant le temps de laisser leur histoire se mettre en place, se déployer, avec une économie de moyen.

Éric Lambé, formé à Saint-Luc à Bruxelles, s’illustre depuis le début des années 90 dans la bande dessinée indépendante (il a cofondé la revue Mokka et a publié au Frémok, chez Casterman ou Futuropolis). Il signe les illustrations de Paysage après la bataille sur un scénario de Philippe De Pierpont, réalisateur et scénariste de films et de bandes dessinées. Ce n’est pas la première fois que les deux auteurs travaillent ensemble puisqu’ils ont déjà collaboré pour Un voyage (Futuropolis), La pluie (Casterman) ou Alberto G (Seuil). Ils signent ici un récit sobre, maitrisé, qui retranscrit la douleur avec beaucoup de justesse. Une œuvre belle, parfois glaçante comme la neige qui recouvre le paysage du camping. Mais celle-ci finit toujours par fondre, annonçant un retour à la vie.

Fanny Deschamps