Des touches blanches, des touches noires

Jeannine PAQUE

letoréLes touches d’un piano contrastent en effet par leur couleur, mais probablement moins, à première vue, que des Tabliers et maillots de bain. Alors que ceux-ci évoquent des tenues, mais aussi les occupations qu’elles impliquent, les rôles, les fonctions pour tout dire, peu compatibles, les touches de l’instrument s’entendent en toute harmonie, que ce soit en majeur ou en mineur. Les textes qui composent le recueil d’Anne Létoré et de Françoise Lison-Leroy résonnent en alternance, mais s’accordent eux aussi. À ce point qu’il est difficile d’en attribuer la (m)aternité, tantôt en vers, tantôt en prose, à l’une ou à l’autre des auteures, avec certitude, tant la cohésion est forte.

Les textes en prose poétique semblent plus explicites, tandis que les textes en vers sont plus allusifs. Mais les uns et les autres participent d’un même dessein narratif. Il s’agit bel et bien de fragments d’une histoire que l’on va suivre malgré tout. Témoignage ou fiction totale nous plongent dans un lieu bien précis, un pensionnat religieux pour filles. Les pensionnaires sont de milieux, d’appartenances familiales différents. Il en va ainsi de leurs affects et de leurs destins. Certaines vivent l’été en recluses, se préparant peut-être à une retraite définitive au couvent, d’autres s’en vont vers des lieux de vacances, des plages, et porteront des maillots de bain, par exemple.

Toutes pourtant ont en commun le même goût de vivre, partagent le même désir de fuite, le secret, l’attrait de la nuit, la complicité, la connivence, les regards « gris foncé » et, par dessus tout, « la vaste ironie », qui permet de « vociférer en silence ». Quelques-unes de ces rebelles sont nommées, Alicia, Geneviève, France, Huguette, Rosemonde, Marie, Roberte, mais les autres ne sont pas loin, que ce soit au large de ce piano à touches blanches et noires, dans le jardin de la sœur des bois, dans le réfectoire glacé, ou dans les chambrettes perméables aux chuchotements ou messages dissimulés dans les interstices improbables de la volonté de communiquer malgré tout. Certains passages des uns et des autres poèmes sont plus dramatiques, mais toujours en douce, ce qui n’enlève rien à leur résonance et à leur implication. Les beaux dessins très évocateurs d’Émilia Jeanne montrent davantage de maillots que de tabliers, mais il faut reconnaître que pas mal de ces maillots sont taillés dans des tissus de tabliers. Et c’est bien ainsi.

  • Anne LETORÉ & Françoise LISON-LEROY, Tabliers et maillots de bain, illustré par Emilia Jeanne, Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, 2014, 85 p., 20 €