Un cantique imprégné d’humanité

Francine GHYSEN

deutsch_ghysenVous l’avez peut-être croisé au détour d’une  rue, à Mouscron, son port d’attache, ou ailleurs. Vous avez senti flotter autour de lui – silhouette grise, efflanquée, démarche hésitante, visage pâle, trop tôt fané – un halo de solitude, de dénuement, mais détourné les yeux, par pudeur, et poursuivi votre chemin, puisqu’il ne vous demandait rien.

Il se nomme Stéphane Lazarevic, et Xavier Deutsch nous raconte son histoire dans un petit livre qu’il présente comme un cantique, dédié au camarade inconnu qui saura l’écouter, le laisser chanter, résonner en lui.

Serez-vous ce camarade attentif, compréhensif, fraternel ? Ou resterez-vous à distance de ce cantique imprégné d’humanité, qui s’achève sur des images, des paroles édifiantes ?


Le récit commence un soir de janvier. Lazarevic a débarqué du train à la gare de Mouscron et s’est lentement mis en route, dans le vent d’hiver, jusqu’à l’adresse où il sait qu’habitent sa femme Nathalie, son fils Jordan et le chien Cascadeur. Foyer dont le séparent un drame qu’il ne se pardonne pas et quatre années de nuit glacée, hantées par la mort d’un homme et de son petit garçon qu’il a fauchés un soir de sortie avec deux amis. Condamné à deux ans de détention avec sursis, et à des dommages et intérêts écrasants, il n’a pas fait de prison, mais reste enfermé dans une gangue de peur et de honte, et rase les murs jusqu’à la porte derrière laquelle il espère trouver quelque refuge. Mais Nathalie l’éconduit vertement, et il reprend sa déambulation, désormais sans but et sans espoir. « Une vie se termine le jour où plus personne ne vous regarde. Et la lanterne s’éteint. »deutsch

À bout de forces, il s’écroule dans un coin de porte. Sombre dans un sommeil qu’il voudrait le dernier.

Mais il se réveille dans une chambre propre et chaude. À son chevet, un homme nommé Christophe le questionne doucement : a-t-il un endroit où aller ? quelqu’un à prévenir ? On l’a trouvé couché sur le trottoir et amené dans cette maison appelée Terre Nouvelle, qui héberge des naufragés comme lui. « Le temps de vous refaire, de vous reconstruire. De rejoindre l’homme que vous étiez avant. » Avant la dégringolade au fond de la détresse, bientôt de la misère. Sa femme l’a quitté avant le procès. Il a perdu son emploi. Vendu la maison. Végété ici et là.

« Un homme et son petit garçon tombés par terre, et qui ne se relèvent plus. Lui non plus, Lazarevic, ne s’est plus relevé. Dépression. Médicaments. La rue. »

Et le voilà revenu à Mouscron, une valise en carton à la main, une poignée de monnaie dans la poche. Démuni, mais accueilli à la maison Terre Nouvelle qui va l’aider à émerger de sa souffrance, de la culpabilité qui depuis quatre ans le brûle ; le détruit.

Lentement, la glace noire amassée en lui se fissure. Il perçoit des signes d’amitié, de furtives clartés dans les ténèbres. Le sol ne tangue plus sous ses pas. Il arrête de glisser au fond du désespoir ; accepte la main qu’on lui tend.

La remontée au jour sera lente. Difficile. Hérissée de cailloux tranchants, car le terrible accident survenu voici quatre ans s’est gravé dans la mémoire de nombreux habitants de la ville, qui ne lui cachent pas leur mépris, leur hostilité. Parfois l’affrontent durement. D’autres, plus généreux, le regardent sans l’accabler, sans le juger, lui font confiance, reconnaissent sous l’épave l’homme qui pourrait renaître.

« Les hommes possèdent en eux un jardin. En eux s’étendent des vallons peuplés d’arbres, semés de parterres et sillonnés par des chemins ou des ruisseaux. Chaque humain détient son jardin qu’il orne, cultive et parcourt. Un jardin unique, intime et délicieux. D’une valeur infinie. »

 Longtemps saccagé, le jardin de Lazarevic a commencé de reverdir…

Xavier DEUTSCHVingt centimes, Bruxelles, Couleur livres, 2014, 204 p., 11 €