Des cendres et des kiwis

 Catherine DESCHEPPERUn kiwi dans le cendrier, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2014, 126 p., 16 €/ePub : 9.99 €   ISBN : 978-2-93053-851-8

deschepper_ghignyUn kiwi dans le cendrier de Catherine Deschepper regroupe des nouvelles autour de trois portraits de femmes : Emma, Inès et Zoé. Trois histoires qui alternent suivant la perspective choisie : l’enfance, le sexe, l’amour, l’état civil… Des femmes qui ont été, qui sont et qui deviennent, avec leurs joies, leurs peines, leurs doutes, leurs satisfactions, leurs chutes, leurs resurgissements.

Tout d’abord, Emma qui se teinte des caractéristiques du personnage de Flaubert et qui doit gérer, comme Mme Bovary, le décalage continu entre ses attentes, ses perceptions et la réalité. L’image désirée ne correspondant jamais chez Emma à ce qui est vécu, elle  a l’impression permanente de passer à côté de quelque chose. Sa pensée a toujours une longueur d’avance sur la réalité qui en devient de ce fait fade ou incomplète.

Ensuite Inès, la femme dévouée, habitée par l’image traditionnelle du mariage, de la famille et qui se retrouve brisée lorsqu’elle apprend que son mari égrène les sites de rencontres pour multiplier les relations très hot. Inès humiliée comme si toute l’intimité vécue avec cet homme durant des années avait été faussée par ce besoin érotique et sadique qui s’épanchait ailleurs et dont elle ignorait tout. Inès qui doit, une fois le divorce prononcé, reconquérir son corps, mais aussi son autonomie financière et affirmer son nouveau rôle de mère (mode monoparental divorcé) auprès des enfants.

Enfin Zoé, qui se veut libre de toute attache, se montre capable d’aimer sincèrement les hommes qui entrent et sortent de son existence. Elle se donne à eux avec conviction et plaisir. Zoé, disponible bienveillante avec tous, qui incarne la vie, mais qui en vieillissant a peur de la terminer seule.

deschepperSi la construction du récit, basée sur le procédé d’alternance où chaque chapitre se consacre à un personnage différent selon un thème identique, n’est pas neuve, le résultat créé ici est assez réussi, à savoir une vision détaillée de ces personnages, qui à force de détails produit un univers où ceux-ci partagent un point commun, celui d’être, à un moment ou à un autre, comme de « kiwi(s) dans le cendrier ». Formule originale que ce « kiwi dans le cendrier » qui se teinte à la fois de l’humour de l’incongruité et de l’amertume du kiwi et des cendres. La formule rassemble Emma, Inès et Zoé qui, malgré leurs différences, se trouvent en porte-à-faux, en contradiction passagère ou profonde, avec la vie qu’elles se sont construite, ont choisie ou subie.

Outre cet effet de construction qui donne au recueil de nouvelles des accents romanesques (mais le débat des genres est vaste), il faut pointer le sens de la formule qui anime le livre de Catherine Deschepper. Celui-ci est émaillé de petites perles tantôt ironiques tantôt tendres, tantôt philosophiques, tantôt implacables… Parfois, elles sont un peu tout cela à la fois pour le plus grand plaisir du lecteur.

« Zoé est de celles qui meurent seules dans leur appartement. Mais dont la foule se presse à l’enterrement. » (p. 12)

« Emma a toujours été une belle femme, mais de ces belles femmes qui s’ignorent et gagnent en séduction ce qu’elles perdent en occasions. » (p. 14)

« Elle n’est pas misérable, Inès, elle n’est pas miséreuse. Simplement, elle est entrée dans la tranche des comptes en banque difficile à négocier. De l’âpreté de la gestion,  de la gestion responsable et raisonnée de ses liquidités. Dans l’angoisse de l’imprévu contre lequel on ne peut rien, et qui mettrait à mal en un rien de temps tout le montage financier patient qu’elle a élaboré.
Funambulise au quotidien et essaie d’oublier qu’elle souffre de vertige. » (p. 49)

Pas de chute véritable à la fin du recueil, si ce n’est la chute physique et métaphorique de Zoé sur un trottoir. Il s’agit ici d’un récit en suspend qui laisse ces trois histoires où elles en sont, continuer leur cours de manière implicite, hors du regard du lecteur à la manière des passagers de ces

« […] trams qui passent.
Ne voient pas que la vie est là.
Sur les pavés, en miettes, éparse. » (p. 112)

Laurence Ghigny

♦ Lire un extrait de Un kiwi dans le cendrier sur le site de Quadrature