Être femme de Kaboul

John HENRY, Quand les ânes de la colline sont devenus barbus, Diagonale, 2015, 18.90 €/ePub : 9.99 €, ISBN :  978-2-9601321-2-0

henryDepuis un peu plus d’un an, le paysage littéraire belge s’est enrichi d’une nouvelle maison d’édition, Diagonale, dont la particularité est de se consacrer à la publication de premiers romans et au lancement de jeunes auteurs prometteurs. Le nouveau venu dans cette belle et remarquable entreprise se nomme John Henry. Il nous propose Quand les ânes de la colline sont devenus barbus, un roman grave et sincère, aux aspects poignants, qui parle d’identité et de sacrifice, de rêve et de douleur, qui parle de la folie des hommes. Un roman bien d’actualité surtout par son évocation de cet islam radical qui nous heurte tant et du terrorisme des barbus barbares exporté jusque chez nous, en Belgique.

L’histoire est inspirée de faits réels, celle de Jack de Kaboul pris dans la coutume des bacha posh, ces filles déguisées en garçons parce qu’il n’y en a pas parmi les enfants et qu’il faut préserver la famille de la honte. Shabina, alias Jack, est la troisième fille de Zahid le grand et de Bilkis la douce. Leur maison se tient sur une colline du côté de Kaboul, sous l’antenne de télévision. Jack est devenu le roi des œufs en étoile, une recette qui fait sa réputation et son succès, lui qui invente aussi le style Jackie Kennedy. Mais dans cette société afghane où importe par-dessus tout le regard des autres, où l’on tient à parader dans les rues de la ville sa fierté d’avoir réussi, où la religion est affaire sociale avant d’être affaire individuelle, garante des comportements et des bonnes mœurs, certains se présentent comme les intercesseurs intransigeants d’Allah, ne pardonnent pas les comportements déviants, veulent que les femmes restent à la maison. Or Jack a goûté à la vie interdite et il n’est plus possible d’y renoncer. Alors il faut fuir, pour protéger sa famille victime de chantage et de violence. C’est Bruxelles, la vie précaire et sans papiers durant 20 ans, après avoir donné naissance à des jumeaux sans plus ensuite n’en rien savoir. Et cette légende qui la supporte, celle de l’âne Fakir qui abandonne le confort pour suivre son instinct et défendre la terre de ses ancêtres. Shabina sera près de devenir une martyr d’Allah, mais c’est la prise de conscience et le retour forcé au pays. L’Afghanistan où « rien n’a changé et pourtant tout a disparu », où les ânes barbus sont au pouvoir avec leurs invectives haineuses, où les femmes luttent mais gardent une mentalité étriquée, où l’amour a du mal à vivre. Car là-bas il y a la trahison odieuse du père – mais Dieu sait si c’est par peur, lâcheté ou sacrifice ? Et puis il y a les enfants à qui l’on avait donné la vie et que l’on doit retrouver. Au bout du compte, dans la vie réelle, Shabina alias Jack de Kaboul, finira par être reconnu(e) comme réfugié(e) politique chez nous en Belgique.

Un premier roman qui cherche la plus grande honnêteté pour dire la souffrance des femmes et celle d’un peuple dépossédé de lui-même par des mâles aux vues étroites. Une plume alerte et enthousiaste qui excuse sans peine l’un ou l’autre déséquilibre de construction. Et un auteur à suivre.

Éric Brucher