En lettres capitales

Thierry DETIENNE

Madrid ne dort pas

En 2005, paraissait le premier roman de Grégoire Polet, qui entre à présent dans la collection Espace Nord. Cette réédition est l’occasion de mesurer le chemin parcouru d’un auteur dont l’oeuvre romanesque, forte à présent de six ouvrages, s’est imposée par sa personnalité bien au-delà de nos frontières.

Quelques semaines à peine après la parution de Barcelona !, la lecture ou la relecture de Madrid ne dort pas met à coup sûr en évidence la grande continuité du travail de Grégoire Polet. Avant toute chose, l’univers de ses textes est urbain et s’il est question ici de la capitale espagnole, c’est pour en dire l’ambiance, la saveur car ses personnages en marquent l’espace, les places et rues, les monuments célèbres. Moins ancrés spatialement, Excusez les fautes du copiste (2006) et Les ballons d’Hélium (2012) sont plus intimistes. Dans Leurs vies éclatantes (2007), il se pose sur Paris pour une semaine de canicule. Ses acteurs sont variés, des cadres à la pègre sans oublier les écrivains et  les touristes. La narration y évolue dans une forme de tourbillon à angles multiples, qui mêle les destins et croise les enjeux, personnels et collectifs, s’accrochant à une personne pour un temps puis passant à une autre, formant un mouvement choral qui pourrait n’avoir pas de fin à l’instar de Madrid l’insomniaque. Au-dessus de la mêlée, à l’instar de Pedro Almodovar, qui apparaît filmant sans relâche des plans de la ville de son hélicoptère, l’auteur dirige son écriture et anime tour à tour ses personnages, mais il préfère la caméra à l’épaule pour mieux épouser le mouvement des corps. Quand il ne suit pas le vol d’une mouche pour adopter des angles plus inattendus encore. L’écriture est vive, le temps de ce roman qui ne dure qu’une douzaine d’heures est compté. Les séquences s‘enchaînent parfois comme une succession de clips dont les fils narratifs, parfois dissimulés sous les instantanés, réapparaissent quelques pages plus loin. Le récit s’en trouve parfois comme suspendu, à la merci de l’imprévu dans une forme de mouvement baroque qui souligne la vitalité et la complexité du monde moderne. C’est dire si l’univers de Grégoire Polet se singularise par sa richesse que souligne bien la postface lumineuse de Rossano Rossi. Et dire que cet auteur que l’on nous envie est toujours trentenaire !

Grégoire POLET, Madrid ne dort pas, Les impressions nouvelles, coll. « Espace nord », 2015, 230 p.

♦ Ecouter un extrait de Madrid ne dort pas lu par Grégoire Polet sur Sonalitté

1 réflexion sur « En lettres capitales »

  1. Ping : Bibliographie. Février 2015/1ère partie | Le Carnet et les Instants

Les commentaires sont fermés.