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Amélie NOTHOMB, Le crime du comte Neville, Paris, Albin Michel, 2015, 134 p., 15 €/ ePub : 10.99 €

JAQ_RL_130x200Les romans d’Amélie Nothomb fourmillent de références littéraires. Celui qu’elle livre pour cette rentrée 2015 ne fait pas exception à la règle. Du titre à l’intrigue, Le crime du comte Neville peut en effet se lire comme un clin d’œil à Oscar Wilde et à sa nouvelle Le crime de lord Arthur Savile.

Les lecteurs les plus attentifs savent que l’Irlandais occupe une place éminente dans le panthéon de l’écrivaine. Un vers (tronqué) de la Ballade de la geôle de Reading, « chacun tue ce qu’il aime », revient ainsi comme un leitmotiv asséné par de nombreux meurtriers nothombiens. Bien que ces mots ne soient pas cités dans le nouveau roman de l’auteure, il y est pourtant bien question de l’assassinat d’un être cher.

Ébranlé par la prédiction d’une diseuse de bonne aventure, le comte Neville est, à l’instar du lord imaginé par Wilde, persuadé qu’il va tuer quelqu’un. À la différence de son devancier, toutefois, l’aristocrate belge cherche sa future victime parmi ses invités, ceux qui participeront à sa célèbre garden party. Parmi les candidats au trépas : la benjamine des filles de Neville, Sérieuse. Elle aspire de toute façon à mourir ; la tuer offrirait à son père le moyen d’épargner tout à la fois la vie de ses hôtes, sa réputation d’amphitryon et, surtout, sa place au sein du gotha.

À la fable inspirée d’Oscar Wilde, Amélie Nothomb mêle une intrigue très familiale. Les Neville oscillent entre noblesse et monstruosité. Le père du comte a entouré son domaine de soins jaloux mais a laissé mourir sa fille, comme le comte lui-même envisage de tuer son enfant pour préserver ses invités ; entre frères et sœurs, à chaque génération, l’harmonie règne mais le spectre de l’inceste flotte. Le comte Neville compare même sa famille à celle des Atrides. Son épouse et lui ont d’ailleurs appelé leur deux aînés Oreste et Électre. Dans cette lignée de prénoms tragiquement fameux, Sérieuse semble détonner. En demandant à son père de la tuer, elle endosse cependant le rôle d’Iphigénie (assignant au passage celui d’Agamemnon au comte) sans en avoir le nom.

Par-delà les références mythiques, ces aristocrates vivant dans leur château au cœur de notre Ardenne (étonnamment désignée dans Le crime comme « les Ardennes belges ») font évidemment songer à l’illustre famille de l’auteure. Avec ce vingt-quatrième roman, celle-ci dépeint, non sans une pointe d’ironie, les mœurs du milieu où elle a grandi, soumis à la tyrannie du paraître mais porté par de hautes exigences morales. Au centre de ce monde codifié : le comte Neville, rayonnant et tourmenté à la fois, évocation empreinte de tendresse de la figure paternelle.

Sans doute Nothomb n’avait-elle pas tout à fait tué le père en 2011.

♦ Lire un extrait du Crime du comte Neville proposé par les éditions Albin Michel

♦ À propos du Crime du comte Neville : une interview vidéo d’Amélie Nothomb proposée par son éditeur