Labeurs

Harry SZPILMANN, Les rudérales, Bruxelles, Le Cormier, 2015, 85 p.

szpilmannQue signifie le mot « livre » ? À cette interrogation partagée par tous ceux qui s’intéressent aux mots, le nouveau livre de Szpilmann égrène plusieurs réponses. La première apparaît dès la deuxième page, comme dans un dictionnaire : « Livre : creuset, claque-nerfs, noir almanach. Dépositaire de l’errance abrasive, des déserts au crochet, du sans-fond. »

Se succèdent ensuite quatre parties sur le thème d’une même plante, « Les rudérales », avec un interlude à mi-parcours et un coda pour clôturer l’ouvrage. Par intermittence, de brefs et essentiels passages en italique se mêlent au corps du texte. Comme dans ses précédents livres, la poésie de Szpilmann est une réflexion globale sur l’acte d’écrire. Pour toucher aux signes de la voix, il faut s’armer de patience, savoir être dans l’attente de l’émergence de la parole : « Attendre, atteindre ce qui, dans l’écriture ou l’acte irrépressible, point juste au-delà de son irrévocable ajournement : l’aleph des sables, ou l’ordonnance des commencements. »

Dépasser les apparences du monde réel reste difficile, voire impossible. Néanmoins, l’auteur nous raconte minutieusement le processus pour tenter d’y accéder et les changements qui se produisent en lui, autour de lui. Écrire est lié à l’esprit, mais aussi au corps et à ses sensations. Sa démarche est étroitement attachée à la terre, à la nature, le travail du poète étant proche de celui qui cultive, laboure, vit au rythme des saisons :

Vivre, mourir – écrire avec cette exemplaire assiduité qu’a la lumière

De faire tenir, le long d’un camaïeu de verts, la danse

Hiératique des distorsions de l’Être.

Inéluctablement, la « Loi du désastre » semble régner malgré de multiples tentatives. Le constat est dur : l’émergence d’ « une écriture en ruines », où la feuille blanche est remplie de « décombres », « d’éclats », de « débris » présents « dès l’instant où la parole s’attaque aux matières improbables ». Cependant, il cherche, encore et toujours, « la nature de l’impact », c’est-à-dire « ce saisissement mutique que la parole, partie liée à la limite, accueille avec émois, prolonge sans un fracas ». Tout reste incertain. Et plus l’auteur creuse, plus la terre devient sensible. Entre les pierres, les rudérales reviennent inexorablement, et avec elles, le vide et le découragement. La blancheur de la page apparaît comme un désert, la nuit y est « fissurée ».

Poésie,

tactile approche

de la braise du silence.

Harry Szpilmann construit une œuvre à part entière. Chaque livre poursuit le précédent, creuse de plus en plus profondément dans la langue, dans la terre, en lui-même. Il tend pour la suite vers « quelque chose de simple », de « pur » où l’air et la lumière auront une place particulière. Nous devrons attendre patiemment la prochaine « transhumance » pour le découvrir.

Mélanie GODIN