« Je vous aime, merci »

Jean-Luc PIRAUX, Six pieds sur terre, Carnières, Lansman, 2015, 36 p., 9€

Jean-Luc Piraux n’est pas un comédien ni un auteur comme les autres. Ce clown lunaire de haut vol a le cœur sur la main. En dialogue constant avec son public, il l’emmène à travers des petites histoires du quotidien, toujours teintées d’humour et de quelques grincements. Car tôt ou tard, le clown blanc laisse sa place à l’auguste. La tragicomédie est son domaine de prédilection. Six pieds sur terre en est la parfaite illustration. Même si ce texte est le premier que Jean-Luc Piraux publie, il n’est pas son premier écrit.

Le narrateur âgé de cinquante-cinq ans, tout comme Jean-Luc – est-ce une coïncidence ? –, nous parle de ses angoisses face à la vieillesse qui entraîne la mort dans son sillage. Selon les statistiques, il lui reste vingt ans à vivre. Et vingt ans, c’est si vite passé ! Qu’il vive à Bruxelles ou à Gand, où l’espérance de vie est plus élevée, qu’importe !, le grand départ approche, la vieillesse est déjà là et emporte avec elle son lot de désagréments. Maladies, troubles de la mémoire, pertes urinaires… personne n’y échappera. L’oubli a déjà fait son chemin et peu à peu, les souvenirs échappent au narrateur. Au fil de l’intrigue, son amnésie augmente. Il devient de plus en plus sombre. Le comique du départ laisse peu à peu sa place au tragique. Toutefois, une furieuse joie de vivre continue à le maintenir en vie, à l’image du hêtre pleureur qui orne la couverture (photo de Cécile Bolly).

Jean-Luc Piraux excelle dans les portraits qu’il croque, ceux de personnes âgées croisées dans des maisons de repos et dont les traits sont à peine exagérés. Le contraste entre les personnages est déjà très fort à l’écrit. Je vous laisse deviner les pirouettes que cela donne à l’interprétation. Par touches d’humour et de poésie, Jean-Luc nous emmène au travers des âges et des croustillantes anecdotes. Des premiers baisers à la rencontre avec sa femme, nous partons à la découverte des petits animaux sur les routes de campagne, du flobart qui vogue sur la mer, pour arriver à la cuisson de l’entrecôte, au ver solitaire ou au cholestérol. Ce texte est un magnifique pied de nez à la vieillesse, à ses tracas et à la mort. Il faut toujours rester dans la course, « au pas, au trot, au galop… vas-y, Rossinante ! ».

Émilie GÄBELE