Au pays d’Alain

Alain BERTRAND, Jardin botanique, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2015, 158 p.

Jardin botanique | Espace NordParu en 2013, ce recueil de récits sillonne le territoire belge et en définit les contours en une géographie personnelle aux accents pourtant collectifs. Structurée en trois temps, portant chacune le nom d’une des trois régions et rassemblant quatre textes, résolument intimiste et convoquant de nombreux souvenirs, cette flânerie sentimentale nous parle de temps qui ne sont plus, ceux d’avant l’air bag et des cafés enfumés, dans le tourbillon de virées aux blagues irrévérencieuses que ponctue l’exploration sans fin des breuvages trappistes.

Enfant de parents wallons installés temporairement en Flandre, puis à Bruxelles, Alain Bertrand a très tôt franchi les frontières linguistiques et mesuré les nuances culturelles, par-delà celles des codes langagiers. C’est sans doute ce qui fait de lui un explorateur insatiable des curiosités qu’il observe d’un œil amusé et qu’il rend dans une langue enjouée, faisant de chaque fait relaté une partie de plaisir. Sur les pupitres de l’école flamande et dans les auditoires bruxellois, notre héros défend les couleurs wallonnes contre le mépris ambiant, comme on vient au secours d’un trésor dont on découvre les contours à mesure qu’on l’écarte des voleurs. Car il est question ici de bravoure quand il faut faire valoir les mérites de vendeurs ambulants de moutarde, ou de déterminer si la vertèbre d’un peintre est enterrée en terre flamande ou wallonne. Pour qui s’amuse des mots et ne rechigne pas à donner dans la gaudriole, tout peut faire farine un bon moulin d’une prose aux accents rabelaisiens. Au passage, l’auteur nous livre quelques savoureux portraits féminins histoire de montrer que ses émois furent sans frontières et que partout, il découvrit qu’il valait la peine de dépasser l’apparence des choses tout en traçant les contours d’une belgitude certaine. A mesure que se déroulent les récits, on se prend à penser qu’avec Alain Bertrand, nous tenions une plume hors du commun, d’une virtuosité ludique et comme intarissable, d’une force comique assortie de gravité et de tendresse. Avec lui, nous avons redécouvert les vertus de la chronique, celle qui démarre d’un rien et vous conduit au tout, mue par la passion des conteurs qui se jouent de l’indicible. Dans sa foulée, nous avons posé un regard tout à la fois érudit et généreux sur la vie sous toutes ses formes et célébré une forme de joie de vivre dont il fait bon se resservir une franche goulée en guise de viatique en ces temps incertains. Qu’on se rassure, il nous a laissé une vingtaine de flacons de crus divers qui ne demandent qu’à être débouchés et bus à sa santé.

Thierry DETIENNE

♦ Lire un extrait de Jardin botanique proposé par Espace Nord.