« L’art ne rend pas le visible, il rend visible »*

Rose-Marie FRANÇOIS, Trèfle incarnat, Le Cormier, 52 p., 2014

Dans ce recueil, Rose-Marie François propose l’exercice d’imagination suivant : écrire 40 poèmes de 17 vers à partir de peintures de Francis Bacon et de Paul Klee. On commence par Bacon et son tableau L’homme au chien. Elle écrit : « Surtout, loin de Magritte, / ne va pas te fondre au tableau. / Tiens le mauve à distance, / à l’horizon de l’oeuvre. / Il nous suffit de fixer la faille, / le peu d’humain / par où entre et sort l’empathie ».

19 autres poèmes se succèdent et les vers ont en commun de parler du corps humain souvent déformé, de l’homme, de visages borgnes, de chair et de brûlure. L’atmosphère est d’une noirceur froide teintée de triste mélancolie. Les mots sont hachés et saccadés, le souffle est court et angoissé. Il est question de cris, de claustrophobie, de ce que sont les hommes et de leur “impassible cruauté”.

La seconde partie explore l’univers de Paul Klee. Son écriture, tout en suivant les mêmes contraintes, est d’apparence plus détendue, l’ambiance plus bucolique. La musique y est plus douce, les couleurs bleue et noire s’entremêlent : « Ici, la porte noire, bouche bée, / troue la pensée, balance/ entre bleuir et mourir ». Dans ce voyage aux visions fugaces, on parcourt les tableaux orangés tels que Ad marginem, renommé « En lisière » ou Baumkultur, dit « Ramée ». Dans un autre poème, elle parle du peintre et de ce qu’il ressent « Le peintre a le frisson qu’il transcrit, sur l’eau du papier, d’une plume duveteuse. / L’illusion de l’horizon se retourne / contre nous. La moisson continue / au ciel ». Elle parle aussi d’elle-même, de la façon dont elle prise dans ces images, de ce qui la touche profondément : « J’ai beau ne rien savoir / d’un sapin à huit branches. / […]/ On m’a mise au coin. / Un trou de souris suggère une / issue. La fenêtre est murée. / ».

Le fil conducteur entre ces deux mondes distincts est un chemin tracé minutieusement par le spectacteur-poète. En lisant ces poèmes, plusieurs approches sont possibles : regarder les toiles en amont, puis se laisser emmener par la parole poétique qui s’y rapporte ; se plonger directement dans les textes et découvrir par après les peintures ; ne pas chercher à les voir, pas tout de suite du moins, et laisser les mots de Rose-Marie François nous transporter dans son univers ; surtout faire personnellement l’exercice d’imaginer autrement ces univers picturaux grâce à la poésie. Dans sa préface, le poète Philippe Jones écrit sans hésitation que ce livre constitue « un élément majeur » dans l’œuvre de R-M François « par le savoir et la sensibilité, grâce à l’art de lire, de traduire, de saisir une image et de la réinventer ». On ne peut qu’être d’accord avec lui.

Mélanie GODIN

 

* Paul Klee