L’étrangère

Edith SOONCKINDT, La femme défaite, Éléments de langage, 2015, 123 p.

soonckindtEdith Soonckindt est une femme dynamique aux multiples passions. À la fois auteure, traductrice, éditrice et bloggeuse, son nouveau livre, La femme défaite, est un roman dialogué entre un homme et une femme, paru aux éditions Eléments de langage. Qualifié d’Olni (objet littéraire non identifié), cette jeune maison d’édition belge a été créée par Nicolas Chieusse pour mettre à l’honneur des textes souvent considérés comme plus difficiles d’accès, se destinant à un lectorat désireux de découvrir des univers non formatés, une forme de littérature laissant place à une imagination sans bornes.

Dans ce récit, on retrouve les thèmes chers à l’auteure : la figure de la femme comme personnage principal, celle de l’homme qui lui est directement juxtaposée, mais aussi les thèmes de l’exil, de l’identité, de la folie, du désir et de la Shoah. Les deux individus, Zara et Hans Vögel, se parlent sans discontinuité dans les trois parties qui composent l’ouvrage. À ces deux identités révélée, se superposent plusieurs couches identitaires, des souvenirs réels ou fantasmés de diverses rencontres. La femme est la belle Juive de Varsovie, mais aussi la pute, la folle. Elle est défaite, morcelée, inexistante, jamais nue (peut-être est-ce là la seule dignité qui lui reste), elle s’oublie, elle n’existe que dans le désir de l’autre:

– Vous oubliez de vivre?

– Chaque nuit je meurs pour tenter d’oublier, qui je pourrais être.

L’homme est à la fois un officier allemand, un Méditerranéen d’Anazabia, un inconnu de New York. Le décor est une succession de lieux superposés : on se retrouve dans le ghetto de Varsovie avec ses cris et ses cadavres; dans les rues de Leeds ; de New York et ses bars ; de Bruxelles sous la pluie ; de Berlin et de son train. Le sommeil des hommes est le seul répit de cette femme du « désêtre ».  Autour de ces deux personnages, gravitent un père, une jeune sœur morte et beaucoup d’inconnus. De l’échange rythmé transpire la peur, le vide et la tristesse « comme pour, oublier de vivre ». Ce livre est un mélange d’histoires d’amour, vécues ou fabriquées, où le désir occupe une place centrale. Le choix du titre souligne la volonté de l’auteure de placer au centre de son texte une femme blessée, meurtrie, défaite, morcelée. Graduellement, le fil rouge de l’histoire se dessine par la présence d’une ville mystérieuse, rêvée, du nom d’Anazabia, une ville chaude, située quelque part sur le continent africain. Il y a des plages désertes, la mer tranquille, un souffle de libération, même si, quelque part, « la menace d’un soleil qui écrase » persiste :

– Une étendue.

– Pleine

– La vie à l’infini.

Mélanie GODIN

♦ Edith Soonckindt lit un extrait de La femme défaite pour SonaLitté