Une urgence : faire vivre la poésie

Yves NAMUR, Les poètes du Taillis Pré. Une anthologie partisane. Châtelineau, Le Taillis Pré, 2014, 308 p., 25 €

Poètes du Taillis PréQuand il crée en 1984 les éditions Le Taillis Pré avec la complicité de Cécile et André Miguel, Yves Namur est déjà un poète confirmé. Dès ses études de médecine à l’UCL, il a suivi des cours de Philosophie et Lettres, relu les philosophes présocratiques, dévoré les recueils de Jacques Izoard, rencontré de futurs écrivains comme Francis Dannemark ou François Emmanuel…  et publié de 1971 à 1977 ses huit premières plaquettes, aussitôt saluées par un audacieux mémoire de licence en philologie romane !  Suivent alors sept années de silence littéraire, que viennent rompre en 1984 les recueils Le toucher et Le Voyage, l’obscène, mais aussi la publication artisanale d’un manuscrit calligraphié par le couple Miguel : Dans l’autre scène. La maison d’édition Le Taillis Pré était née. Certes, les premières parutions sont irrégulières et de volume modeste, mais les auteurs ne sont pas choisis au hasard : Roberto Juarroz, Salah Stétié, Fernand Verhesen, Antonio Ramos Rosa, etc. Comme J. Izoard et quelques rares poètes altruistes, Y. Namur ne se contente pas de son œuvre personnelle, qui prend pourtant dans les années 90 une ampleur considérable et lui vaut de nombreux prix : il éprouve le besoin de mettre en valeur et de faire connaitre les textes qui ont trouvé en lui une forte résonance.

Encouragé par Michel Bourdin, directeur des éditions Le Talus d’Approche, le médecin-poète-éditeur se lance ensuite dans la réalisation d’ouvrages plus ambitieux, en commençant par les Portugais Nuno Júdice, Pedro Tamen ou António Osório. D’autre part, il confie à Gérald Purnelle et Karel Logist la direction d’une nouvelle collection vigoureusement dénommée « Ha ! », et vouée à la réédition – souvent intégrale – d’œuvres poétiques peu connues ou devenues introuvables, celles d’Ernest Delève, de Franz Moreau, de Françoise Delcarte, de Pierre Della Faille, etc.  Plus récemment, il demande à Éric Brogniet de piloter la collection « Erotik ». Mais entretemps, son travail d’éditeur s’est doublé d’une activité voisine, celle d’anthologiste. En 1996, il publie aux éditions Sud à Marseille La nouvelle poésie française de Belgique. Une lecture des poètes nés après 1945. Suivront, en collaboration avec Liliane Wouters : Le siècle des femmes (Les Éperonniers, 2000) et Poètes aujourd’hui, un panorama de la poésie francophone de Belgique (Le Taillis Pré / Le Noroît, 2007). Outre sa production personnelle, on aura compris qu’Y. Namur est devenu au fil des années l’un des meilleurs connaisseurs de notre poésie, nonobstant son ouverture méritoire aux littératures étrangères : ses maitres, dit-il, sont Edmond Jabès, Roberto Juarroz, Rainer-Maria Rilke, Paul Celan, et sa collection « Les anthologies » accueille aussi bien des auteurs anglo-québécois que palestiniens, albanais ou espagnols.

C’est donc avec curiosité que le public averti attendait fin 2014 le nouveau florilège Les poètes du Taillis Pré. Peut-être pourrait-on regretter le sous-titre Une anthologie partisane, l’adjectif ayant souvent une valeur péjorative. Extérieurement, le volume s’inspire du fameux Panorama publié par L. Wouters chez Jacques Antoine en 1976 : couverture noire, lettrage vert et blanc, liste alphabétique des auteurs cités. Autre similitude : plutôt qu’adopter un classement chronologique ou thématique, forcément scolaire, Y. Namur intitule ses onze chapitres en utilisant quelques titres de recueils qu’il a publiés : Ce fragile aujourd’hui, Figures de l’ouvert, Le bestiaire insoupçonné, L’étrange langue, etc. Par contre, il n’applique pas le commode système des notices bio-bibliographiques…  La Table des auteurs témoigne néanmoins d’une belle diversité, avec des poètes aujourd’hui morts et d’autres vivants, des Belges francophones et des étrangers en traduction, des noms célèbres et d’autres peu connus, des textes âgés d’un an à vingt-six, quelques pages d’un lyrisme néoclassique quand d’autres sont habitées d’une écriture hermétique ou discontinue. Un trait commun assure la solide unité de l’assemblage : l’on ne trouve, parmi tous ces poèmes, rien de vain, de gratuit ou de médiocre ; seulement le sentiment d’une recherche sincère, obstinément tournée vers l’essentiel, la volonté d’élargir sans cesse les frontières de notre monde intérieur. Reflet d’une passion éditoriale de trente ans, l’anthologie d’Y. Namur donne une image lumineuse de cette passion et, à travers elle, de la poésie contemporaine tout entière.

Daniel LAROCHE