Sous les mirages, la réalité

Anatole ATLAS, Berlue d’Hurluberlu, Miroir Sphérique, 2016, 116 p., 12 €

atlasBerlue d’Hurluberlu. Le titre nous promet quelques surprises étourdissantes.

Le sous-titre précise la couleur : La résurrection de Thomas More et l’enquête posthume de Maigret par un Bougnoule au Royaume de Belgique. Nous voilà prévenus! Prêts à larguer les amarres, à prendre le large loin des contrées raisonnables, des chemins balisés, des certitudes confortables.

Anatole Atlas invite le lecteur à s’aventurer, au prix d’un effort d’imagination, audacieux « saut de l’ange », au-delà de la réalité connue, du langage familier.

Rendez-vous au parc de Bruxelles, le soir du 21 juillet 2022, propice aux sortilèges. « Où est encore la frontière entre vie et mort, jour et nuit, rêve et réalité ? »

Comme sur la scène d’un théâtre improbable apparaissent la déesse Isis, qui ne se sépare pas du nécrophone par lequel elle converse avec les défunts comme avec les vivants (les seconds le sont-ils davantage que les premiers ? Rien n’est moins sûr). Thomas More, la tête posée sur un plateau qu’il tient à bout de bras, cette tête qui fut tranchée en un autre siècle, mais le revoici parmi nous, mû par une force à laquelle on ne résiste pas. Le commissaire Maigret, massif, perspicace et bonhomme comme nous l’aimons. « Les spectres n’appartiennent pas au royaume des terreurs nocturnes : ils sont des idées en mouvement, capables de franchir les océans de l’espace et du temps. Rien ne les distingue vraiment des vivants. »

Surgissent aussi Philippe Sollers « dont la gloire se rehausse d’un dédain du Nobel » ; Jacques De Decker, sortant de l’Académie, « désinvolte et primesautier », pour qui l’auteur évoque une vieille amitié teintée d’amertume.

Ainsi se noue la ronde des « berlues visuelles et sonores » d’un hurluberlu, rebelle de haut vol : « bougnoule je me réclame par origine africaine, et inaptitude à me fondre jamais dans le moule belgicain ».

Les fantasmagories de cette nuit d’été transfigurée par la résurrection de Thomas More ne voilent pas un tableau satirique de notre temps, embrassant la politique, l’éthique… « Où la puissance intellectuelle et spirituelle a-t-elle droit de cité, face au pouvoir temporel ? »

D’ailleurs, n’en doutez pas, « il n’est rien de plus réel que ces apparentes fantasmagories. Nous puisons ici aux sources de la littérature, qui font jaillir une quintessence de la réalité. »

Francine GHYSEN