Comme une paille…

Philippe LEUCKX, L’imparfait nous mène, Dinant, Bleu d’Encre Editions, 2016, 54 p.

leuckx imparfaitQuelle nostalgie Philippe Leuckx exprime-t-il dans le titre de son dernier (et énième) recueil « L’imparfait nous mène » ? La réponse se trouve en principe dans les lignes où il s’interroge : « Quel est ce temps qui pousse en nous et qui remonte loin ? Parfois comme une paille parle pour tout un champ, un mot lève et sert notre mémoire ». Ne peut-on pour autant considérer, à lire ces courts poèmes d’une concision et d’une sensibilité quasi japonaises, que les instants et les états d’âme évoqués naissent aussi de ce statut d’ « imperfection» nécessaire, sans lequel la vie ne serait pas et qui est à la fois le motif et la matière de toute poésie et de toute inspiration (aspiration) ? Et, en somme, de la beauté, ce fragile reflet des choses et des instants, que nous suscitons comme lui-même  nous suscite et nous mène ?

Nostalgie ? Elle se déploie souvent dans le territoire favori de Leuckx : les soirs qui hantent à foison ces textes et qui célèbrent aussi les crépuscules enchantés d’un souvenir en fuite. Pas pour s’en désoler, mais pour en retrouver, avec l’appui de quelques repaires de la vie ordinaires, la saveur et toute la charge sentimentale.

Parfois dans les lents soirs/La sonde soudain d’un train qui brusque/Les jardins/ Le cœur resserre ses branches/ La langue reflue dans l’air/

On reste à demi déserté.

Avec Le Sang Court, le second titre au cœur du recueil, les souvenirs se font plus explicites et ancrés dans un passé plus « historique ». L’anecdote y affleure aussi comme la traiterait un diariste. Ainsi cette relation d’une bagarre dans un train, entre des copains éméchés qui s’installe entre les retours aux claires allées de l’enfance, aux saveurs de la campagne, au vécu d’une famille de fermiers, au père qui travaille la terre avec amour et à ces petites joies de la vie quotidienne qui remontent à la surface des années comme des bulles insubmersibles.

Petites lumières des jours pâles/L’on a cru voir ces étincelles au cœur des murs. Les petites choses  battantes. Les poussières. Le passé avec sa corde de joie. Le rire des pigeons qui console des mauvais apôtres.

Petites joies éphémères. Une grange longue et lasse de tant de paille ! Et plus une seule vache dans l’étable des jours usés.

C’est vrai : l’imparfait nous mène, mais Philippe Leuckx lui impose, avec sa vaillance et sa fragilité, le don de retentir puissamment  dans le présent de la vie.

Ghislain COTTON