Les beaux-arts à Liège, de Lambert Lombard à Johan Muyle

Catalogue du Musée des Beaux-Arts de Liège, sous la dir. de Jean-Marc GAY et Régine REMON, Éditions de la Ville de Liège, 2016, 408 p., 30 €

boverieAprès trois ans de travaux, le Musée des Beaux-Arts de Liège a rouvert ses portes aux visiteurs ce printemps, dans le parc de La Boverie, en bord de Meuse. Le bâtiment, construit pour l’Exposition universelle de 1905, a été complètement réaménagé par le bureau d’architectes liégeois Paul Hautecler – Pascal Dumont. Il a aussi été largement augmenté dans ses surfaces d’exposition grâce à une lumineuse extension de verre et de béton, dessinée par Rudy Ricciotti, architecte français créateur notamment du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille.

Cette réouverture signe également le lancement d’un partenariat de trois ans avec le Musée du Louvre, qui a débuté par une exposition sur le thème En plein air, choisi en fonction du site arboré et paisible du parc de la Boverie. Cent vingt-cinq œuvres, issues d’une cinquantaine de musées européens et américains et de collections privées, ont été réunies pour la circonstance. On y retrouve entre autres Corot, Boudin, Cézanne, Van Rysselberghe, Monet, Liebermann, Kokoschka, Chagall, Bonnard, Matisse, Léger, des baigneuses prêtées par le Musée Picasso de Paris… Un catalogue est publié pour cette exposition, qui se tient jusqu’au 15 août.

Mais cette renaissance du musée donne aussi l’occasion de découvrir, dans un nouvel agencement, les collections permanentes du musée, et, grâce au catalogue de plus de quatre cents pages édité à cette occasion, de mesurer toute l’ampleur de ces collections, jamais considérées dans leur ensemble jusqu’ici. Outre de riches fonds d’art ancien, le Musée des Beaux-Arts de Liège dispose d’un large choix d’œuvres des 19e et 20e siècles, et notamment de ses avant-gardes. C’est dans ce bâtiment aujourd’hui rénové qu’eut lieu, en 1951, la dernière exposition collective du groupe Cobra. On ne s’étonnera donc pas de voir aux cimaises des œuvres de Dotremont, Alechinsky, Appel, Corneille, Bury, Vandercam, Ubac, Collignon… ainsi que de nombreux artistes surréalistes : plusieurs Magritte dans ses différentes périodes, E.L.T. Mesens, Jane Graverol et sa fameuse Goutte d’eau appréciée d’André Breton, Marcel Mariën, Paul Delvaux, Jean Arp, Oscar Dominguez ou Jacques Hérold.

Livre d’art et bande dessinée

Le catalogue a été conçu en véritable livre d’art, vêtu d’une couverture blanche immaculée, et se déroule selon un ordre globalement chronologique, dans une mise en page claire et aérée. Une pléiade de conservateurs, chercheurs, historiens d’art, critiques, ont participé à la rédaction des textes, qui accompagnent la présentation d’œuvres de près de cent quarante artistes, depuis le peintre de la Renaissance et humaniste Lambert Lombard, jusqu’au plasticien contemporain Johan Muyle.

Des articles de plusieurs pages viennent éclairer, tout au long du volume, des aspects spécifiques des collections. Qu’il s’agisse de nombreuses donations, de fonds d’ateliers particulièrement importants (tel celui du paysagiste liégeois Gilles François Joseph Closson, actif au début du 19e siècle), ou de collections singulières. Ainsi, on ignore souvent que le musée liégeois abrite un fonds extraordinaire de bande dessinée, constitué depuis 1977 par l’acquisition de planches originales de BD, auprès de figures majeures comme Franquin, Hergé, Jacobs, Morris, Tillieux, Jacques Martin, Laudy, Greg, Macherot, Hermann, Vance, Hausman… Quand on voit l’évolution exponentielle du prix de planches de BD dans le monde de l’art, on s’aperçoit combien les responsables des acquisitions à l’époque ont eu le nez fin, tant dans le choix des dessinateurs, que dans la superbe qualité des planches acquises.

L’appui de mécènes et donateurs

De même, les différents courants de l’abstraction au 20e siècle sont bien présents, grâce au collectionneur et mécène Fernand Graindorge, qui fit donation de près de septante œuvres. Léger, Le Corbusier, Gorin, Closon, Baugniet, Magnelli, Sonia Delaunay, Staël, Bram Van Velde, Villon, Nicholson, Poliakoff, Delahaut, Riopelle, Tapiès… sont représentés, ainsi qu’une série de toiles acquises à Lucerne en 1939 lors de la vente dite « d’art dégénéré » organisée par les nazis. Une délégation liégeoise sauva ainsi Le Sorcier d’Hiva Oa de Gauguin, La Maison bleue de Chagall, La famille Soler de Picasso, La mort et les masques d’Ensor, ou encore les Chevaux au pâturage de Franz Marc.

Autre mécène, Jacqueline Trutat. La veuve du producteur de France Culture Alain Trutat avait déjà fait don à la BnF de Paris d’une exceptionnelle collection de livres et manuscrits. Elle a proposé en donation à la Ville de Liège un choix d’une cinquantaine d’œuvres de Raoul Ubac, dont le couple Trutat fut très proche dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Musée des Beaux-Arts de Liège expose également en permanence l’une des grandes fresques murales de l’Américain Sol LeWitt, Wall Drawing # 449, tandis que le parc de La Boverie héberge la Tour cybernétique de l’artiste franco-hongrois Nicolas Schöffer, érigée en 1961, longtemps laissée à l’abandon et à présent complètement restaurée. Ces œuvres majeures font également l’objet de chroniques qui les replacent dans le contexte artistique et la démarche de leurs créateurs. Bref, voici un ouvrage de référence, d’une belle qualité visuelle, qui peut prolonger une visite sur place, mais également se découvrir comme on approche un monde trop longtemps méconnu.

Pierre MALHERBE