Petits arrangements de la vie quotidienne

Daniel SOIL, Petite Plaisance, Bruxelles, M.E.O., 2016, 78 p., 12 €, ePub : 7.49 €   ISBN: 978-2-930702-99-5

soilDivisé en trois parties, Petite plaisance est un court roman qui nous plonge dans l’univers de 3 personnages sortis groggy de la seconde guerre mondiale (« Il n’y a pas que mes machines qui sont sous séquestre. Mon esprit aussi. Mon crâne est comme bosselé. Je n’ai plus de tonus. J’ai quelques pertes de mémoire. Je ne puis mieux me comparer qu’à un ballon à la dérive. »).

Nous découvrons ainsi Léa et la longue attente du retour de son mari pendant la guerre. Puis John, son époux, incarcéré au Fort de Huy à cause de sa récente sympathie pour le national-socialisme. Le quotidien de ce couple a priori banal est cependant plus subtil qu’il n’y paraît : René, ami et avocat de John, gravite en électron libre autour de Léa pour qui il a une grande affection réciproque.

Quelques années après la guerre, les 3 amis vivent à Petite Plaisance, où « on annonce en français et on jure en allemand » et où la vue depuis la terrasse est sublime, entourés du fils de Léa et John, ainsi que de la fille de l’ex-maîtresse de John (oui, vous avez bien lu !).

En Allemagne, Léa et moi [René] avions partagé la même chambre. Cette intimité a laissé quelques traces, une familiarité naturelle. John a compris, mais n’a rien dit. Juste Ah. Ce qu’il fallait traduire par : c’est comme ça. Lui, l’ami vacciné par la vie […] De leur côté, Léa et John font tout pour l’acclimater. Ils s’attachent à cette petite, à n’en pas douter. Chaque jour, ils imaginent une activité qui éduque ou divertit. Ils se révèlent même plus justes avec Anke qu’avec Steff, leur propre enfant.

Le décor planté, nous faisons un rapide raccourci vers la configuration du film Jules et Jim. Mais l’auteur nous invite à briser l’écran du cliché et à explorer la manière plus subtile dont les êtres humains façonnent leur propre histoire à travers l’Histoire. Nous découvrons par exemple que les affinités national-socialistes de John ne sont pas mues par une croyance en une quelconque supériorité de race, mais par sa fascination pour l’ordre et ses compétences linguistiques. En découvrant la part d’humanité de John, le lecteur apprend à éprouver de l’empathie pour lui, même s’il ne partage pas les mêmes valeurs.

À travers un style sobre et efficace, Daniel Soil lève le voile sur une amitié tendre et profonde, que les années n’altèrent pas, mais composent au gré des événements et des blessures de chacun.

Léa vit couci-couça. Elle a un peu de mal quand elle remarque un souci sur le visage de John et cela arrive souvent. Pour ma part, je donne à la mine chafouine de mon ami des raisons qui tiennent plutôt à son itinéraire politique. Mais elle croit y percevoir des tristesses plus affectives, plus intimes. Dorly n’est plus là et pourtant elle est encore là. Le mutisme règne. Mais Léa reste solidaire de John. Quand je capte son regard, je le soutiens longtemps. Puis je lance un nouveau sujet, qui donne l’occasion de se détendre, de rire.

Petite Plaisance est un récit qu’il est doux de lire pour se laisser bercer par la tendresse qui fait la richesse des rapports humains sincères. Une petite lueur d’espoir qui donne tout son sens à l’expression « même si ».

Séverine RADOUX