Un peintre au plus près de son travail de création

Serge MEURANT, Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum, Esperluète, 2016, 96 p., 18,50 €   ISBN : 9782359840728

meurantLe regard d’un écrivain-poète sur le travail d’un artiste qu’il suit depuis quelques dizaines d’années. Un parcours sensible que Serge Meurant partage avec nous dans son livre Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum.

Il y a réuni les textes écrits à partir des années septante : évocations des tableaux et dessins évoluant au fil du temps, fragments poétiques…

C’est en 1977 que l’auteur découvre cet atelier, « vaste comme une scène de théâtre », baigné de lumière entre une grande verrière et de larges fenêtres. Il décrit les toiles exposées et formule déjà cette intuition : « Mandelbaum évoque le fou, notre double éveillé qui parle nos lapsus, nos actes manqués et révèle souvent notre vérité profonde ».

Il observe comment la photo d’actualité saisissant tel événement de l’histoire politique (funérailles du dictateur portugais Salazar, assassinat de Lumumba…) peut frapper, et même « cravacher », l’esprit et le talent du peintre, qui en donne une interprétation, une vision personnelles.

Discerne deux axes dans sa démarche : « Le premier se caractérise par l’expression du vécu intérieur dans un état d’immédiateté surprenante, un travail sous hypnose, pourrait-on dire, tandis que le second se définirait par une réflexion sur le monde, cherchant à rendre les conditions d’une existence où l’individuel et le collectif se trouvent indissolublement liés ».

Il s’attarde sur sa pratique singulière de racler, d’effacer des parties de plusieurs toiles et pressent que cet effacement permet de mettre au jour une  trace fragile mais essentielle. Il en choisit pour exemple le portrait de la mère de l’artiste, qui lui inspire les lignes les plus subtiles, les plus émouvantes : « Ta mère au visage de sable, insaisissable, dans la plénitude pauvre qui le transfigure. Ce visage unique qu’aucune photographie ne restitue en son rayonnement. Ce qui l’éclaire au-dedans vient se poser comme un miroitement très doux autour des yeux. Comme l’usure d’une vie et sa beauté qui persiste bien qu’effacée ».

Serge Meurant s’arrête devant les dessins d’Arié Mandelbaum, qui éclairent, adoucissent les tableaux, et donnent à celui qui les regarde l’impression de pénétrer dans un « lieu de proximité heureuse ».

Médite sur les tableaux récents qui lui apparaissent comme « le palimpseste d’une œuvre sans cesse recommencée », autour du noyau d’images originelles : le couple chassé du Paradis, la fin de l’enfance, l’amour charnel célébré dans l’étreinte et la séparation, la Shoah et les camps d’extermination…

Il se penche sur les portraits de Kafka (dont on n’a pas oublié l’exposition à la galerie Didier Devillez), grâce juvénile, intense gravité du regard, et les prolonge de réflexions sur l’auteur de La métamorphose, sa correspondance avec Felice, sa fiancée, avec sa sœur Ottla, l’opposition irréductible, fondamentale, entre son père et lui, qui hante sa Lettre au père.

Cette approche sensitive, pénétrante, d’une œuvre en mouvement que Serge Meurant accompagne à travers les années (« Seule une relation avec l’œuvre, née de la contemplation de la toile en train de se faire, me convient »), est scandée, complétée par les photographies de l’atelier signées Bérengère Gimenez, Élie Gross, Marc Trivier et Philippe Vindal.

Ainsi nous glissons-nous à notre tour, par la voie du texte et de l’image, dans l’atelier d’Arié Mandelbaum.

Francine Ghysen