Naufrages au féminin

Marie-Ève STÉNUIT, Une femme à la mer! Aventures de femmes naufragées, Editions du Trésor, 2017, 192 p., 17 €, ISBN : 979-10-91534-28-4

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Prononcé pour la première fois en 1852 par un lieutenant-colonel britannique à bord du Birkenhead en perdition, le mythique «  Les femmes et les enfants d’abord ! » est loin d’avoir été la règle générale au cours de la longue histoire des naufrages. Quant à la tradition du « capitaine courageux », elle encaisse aussi quelques méchantes estocades sous la plume de Marie-Ève Sténuit, historienne de l’art et archéologue, dans un ouvrage consacré aux nombreuses femmes qui vécurent ces drames de la mer.

Récit historique, mais aussi romanesque par les tribulations de ces héroïnes (au double sens du terme) issues pour la plupart de la « bonne société », confrontées à des conditions de survie toujours éprouvantes, souvent atroces et parfois fatales. C’est bien au fil d’un rigoureux travail d’historienne, étayé par une bibliographie somptueuse, que l’on accompagne de plus près – et oserait-on dire « pas à pas » – huit de ces femmes et leurs compagnes victimes de naufrages survenus du XVIe au XIXe siècle et associés notamment à des noms aussi tragiquement évocateurs que la Méduse, le Grosvenor ou l’Amphitrite. Destins multiples pour ces malheureuses, qu’elles meurent de faim et de désespoir comme Léonor de Sa, qu’elles deviennent esclaves des Kabyles comme Marie-Anne de Bourk, ou des Cafres comme les « disparues du Grosvenor », condamnées à une errance épuisante comme les naufragées de la Méduse, contraintes à se nourrir de la chair des morts comme Ann Saunders dévorant avec appétit son cher fiancé, noyées comme la centaine de déportées britanniques dans le naufrage de l’Amphitrite, ou encore vivant une odyssée à rebondissements multiples comme celle de l’Écossaise Eliza Frazer qui, rescapée du bush australien, finira – ironie du sort – sous les roues d’une carriole.

Si l’on suit ces péripéties avec autant de curiosité que d’effroi, elles présentent aussi en toile de fond de nombreux éléments révélateurs des conceptions de l’époque sur la société et sur la vie en général, mais également du regard supérieur porté par les Européens sur des populations dont ils ne savent rien et qui, ignorance contre ignorance, leur sont fatalement hostiles.

Ghislain Cotton

À lire : un extrait d'Une femme à la mer!