Où l’on plonge vollegaz dans l’histoire millénaire d’une guerre larvée et actuelle

Alain ADRIAENS, Un millénaire de simplicité volontaire en Occident, Couleur livres, 2016, 184 p., 18 €, ISBN : 978-2-87003-694-5

adriaensCar bon. Ne nous leurrons pas. C’est bien d’une guerre dont parle Alain Adriaens, ce biochimiste, généticien, porte-parole du mouvement politique des objecteurs de croissance. C’est bien d’une guerre dont nous parle cet ancien écologue scientifique qui, tout à coup, fait dans l’histoire, dans l’essai historique de vulgarisation. D’une guerre larvée. Actuelle mais aussi vieille que le monde, comme on dit. D’une guerre qui a eu cours dans le passé mais a donc cours aujourd’hui. Sous nos yeux. Dans les médias. Dans nos esprits. Pas d’une guerre aux allures spectaculaires.

Ça, non.

Pas encore.

Quoique.

Les adversaires ? Pas « le bel Occident » contre « les états voyous ». Pas « le bel Occident » contre « la terreur ». Les adversaires seraient plutôt internes. Bien « intégrés ». Faisant partie, corps et âme, de nos sociétés hyperconsuméristes.

À ma droite, il y aurait les tenants des dogmes néolibéraux. Ceux qui croient à l’impératif « toujours plus ». Toujours plus de croissance. Toujours plus de biens à produire, à consommer. Toujours plus de productivisme. D’individualisme. À ma gauche, il y aurait ceux et celles qui tentent de sortir de l’ornière. Inventent d’ores et déjà l’avenir. D’autres avenirs. Plus collectifs. Égalitaires. Détachés du plaisir pulsionnel d’accumuler les choses. Des hommes et des femmes convaincus qu’une simplicité volontaire, qu’une pauvreté matérielle modérée, serait un meilleur partage du gâteau. Rendrait, en tout cas, sa dignité à tout le monde. Ouvrirait notre monde à une organisation nettement moins verticale ou pyramidale, nettement plus horizontale.

Entre ces deux « clans » : une masse impressionnante d’indécis. 60 % de la population, d’après une étude récente. 60 % de la population attendant de voir de quel côté de la balance ça finira par pencher. 60 % de la population prêts à suivre le sens du vent. Peu importe la direction où il nous emmène.

Alain Adriaens aurait pu se contenter de faire le point sur la question. Nous résumer la pensée des objecteurs et objectrices de croissance qui, médiatiquement, s’emportent régulièrement sur le sujet. Mais non. Adriaens donne très peu, finalement, la parole aux Pierre Rabhi et autres stars « à la mode ». Préfère, au bout du compte, nous présenter des initiatives plus citoyennes. Nettement moins « show-biz ». Et c’est tant mieux. Préfère aussi revenir sur le distinguo entre pauvreté subie et pauvreté volontaire. Sur le point du vue du Sud sur la question. Ou sur la notion d’anti-utilitarisme. Ou, de façon limpide, sur la différence entre gauche radicale et écologie politique. Et c’est tant mieux. Préfère aussi plonger dans l’histoire. La nôtre. Celle de l’Occident.

Adriaens passant ainsi en revue mille ans de combats. Parce que cette lutte entre l’excès et la frugalité, elle ressurgit régulièrement. Depuis mille ans et plus. Non qu’au début du Moyen-Âge des hommes, des femmes, se soient déjà affrontés sur cette question de l’hyperconsommation mais, il y a mille ans, des contestations ont déjà eu lieu. Des remises en cause d’un état de fait, d’un état de marche, injuste. Dans l’histoire des églises chrétiennes, il y a eu des moines qui se sont élevés contre d’autres moines. Indignés, comme on dirait aujourd’hui, par l’attitude de certains autres moines. S’en mettant plein les fouilles, pourrait-on dire. Oubliant la nécessité de la pauvreté dans la vie d’un moine. Oubliant que c’est en vivant volontairement de façon pauvre – « simple », dirait-on aujourd’hui -, que chacun, chacune, a le plus de chance de vivre dignement, de ne pas crever comme un chien dans la misère. Adriaens tire ainsi brièvement le portrait à l’Ordre du Temple, aux Cathares, aux Cisterciens, à Maître Eckhart, aux ordres mendiants, à l’Ordre des Trappistes, etc., dressant ainsi une partie de « l’arbre généalogique » des objecteurs de croissance actuels. Adriaens n’en oublie pas pour autant l’autre volet. L’autre racine de cet arbre. Nettement moins spirituelle. Nettement plus sociale. Politique. Économique. Passant en revue, au triple galop, des expériences et théories ayant vu le jour entre 1800 et 1945. Tirant à nouveau brièvement le portrait à Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Thoreau, Tolstoï ou Gandhi, par exemple.

Bien entendu, Alain Adriaens n’est pas neutre.

A choisi depuis longtemps son clan.

Le rapide tour d’horizon du combat millénaire entre consommation outrancière, aux bénéfices de quelques-uns, et consommation modérée, aux bénéfices – si possible – de tous, donne, lui, furieusement envie de creuser la question. De nous plonger à notre tour dans les livres de François d’Assise, les numéros de la revue MAUSS, les écrits d’un Jean-Baptiste Godin, etc. Me donne envie aussi, personnellement, de lire ce que propose « l’autre clan ». Histoire de savoir de quoi on parle. Histoire de ne négliger aucun point de vue.

Cela fait, déjà, de ce livre une belle réussite : nous donner envie d’aller plus loin, de creuser à notre tour une question, ne devrait-il pas être un des buts de tout bon ouvrage de vulgarisation ?

Vincent Tholomé