Où l’on regarde des photographies pour mieux plonger dans son monde intérieur

Un coup de cœur du Carnet

Jean-François FLAMEY, Non Dits, Yellow Now, 2017, 120 p., 19€, ISBN : 9782873404192

flameyNon dits, qu’est-ce que c’est ? Un ouvrage de photographies. Mais pas que. Une boîte à imaginaire aussi. Une mécanique jouissive faite pour que, mine de rien, on se raconte des films, nous, les regardants, les regardantes. Une machinerie nous invitant à faire tourner à plein régime nos facultés de scénaristes ou de rêveurs, en tout cas.

C’est que Jean-François Flamey, l’un des photographes les plus enthousiasmants du namurois, s’entend comme pas deux pour proposer des « images parlantes ». Non que Jean-François Flamey s’appuierait sur le monde réel, nous proposerait des bribes « de la vie de tous les jours » ou donnerait à voir des images qui seraient, en somme, comme des miroirs de nos existences – Jean-François Flamey n’a rien d’un documentariste. Non que Jean-François Flamey traquerait des instants volés, des instants révélateurs de notre époque – JF n’a rien, non plus, d’un scrutateur du temps présent. Il serait plutôt un amoureux des textures, notre gaillard. Un amoureux des couleurs qui bavent. Des pellicules révélant leur grain. Des coulures et des motifs floraux. Des flous tellement flous qu’on ne saurait parfois même pas dire ce que JF vient de photographier.

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Cela donne des images comme issues d’un film de David Lynch ou d’Hitchcock. Aussi puissantes que les vidéos projetées lors des concerts du duo canadien Jerusalem in my heart. Cela donne des images fortement texturées, aux couleurs passées. Photographies comme prises au hasard. Ou sorties tout droit des ratés, des laissés pour compte. Trouvées dans les poubelles d’un obscur photographe tchèque ou lituanien. Cela donne, surtout, des images où, chacun, chacune, nous pouvons, à notre guise, au hasard des pages, projeter nos fantômes, nos vies intérieures, nos fantasmes. Comme si, parfois, Jean-François Flamey réussissait à photographier nos rêves. Ou plutôt ce qu’il en reste au réveil. Des détails de rêves. Ou nous invitait à rêver. Comme si, en photographiant le réel pourtant – Jean-François Flamey ne monte pas ses images, ne les agence jamais façon collage –, notre gaillard nous incitait, nous, regardants, regardantes, à voir au-delà.

Mise en page 1Rien de « surréaliste » pourtant, dans les images de JF. Aucune allusion, non plus, à un « arrière-monde fantastique ». Juste un goût immodéré pour les textures, les grains de la peau, les grains du bois, le ressac de la mer, les ciels gris, les contrastes lumineux. Juste un plaisir fou à dénicher des poussières dans un coin de salon ou sous le dessous d’une armoire. Juste un malicieux plaisir à magnifier ces choses. À leur faire prendre des proportions inouïes. Comme quand on était enfant et qu’on se baladait en voiture et qu’on regardait par les vitres et qu’une maison abandonnée au milieu d’un pré devenait soudainement la maison hantée. Ou celle de la sorcière. Ou celle du pendu. Ou que sais-je encore.

Oui.

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Les images de Jean-François Flamey ont cette belle force-là. N’arrêtent pas, en tout cas, de susciter des paroles : des textes ponctuent ci et là le livre. Impressions, notes, jetées sur le papier par Adeline Rossion, Emmanuel d’Autreppe et Jean Janssis. Des textes qui disent comment leurs auteurs ont vu – ou mieux : ressenti – les images de Jean-François Flamey.  Des textes nous invitant, nous, les regardants, les regardantes, à revenir en arrière. À scruter de plus belle les images. À dénicher à notre tour le détail soi-disant insignifiant. Celui qui nous fera partir. Décoller. Littéralement. Celui qui nous fera dire, imaginer, tout ce que ces photographies ne disent pas, ne montrent pas.

Un livre, en tout cas, à compulser. Vite. Ou lentement. À reprendre souvent. Un livre, à tous les coups, pour ceux et celles qui se délectent, de temps à autre, à plonger dans leur « lointain intérieur ».

Vincent Tholomé


PS : on trouvera d’autres images de Jean-François Flamey sur son site.