Dans l’arène du langage

Laurence ROSIER,  De l’insulte… aux femmes, 180° éditions, 2018, 180 p., 17 €, ISBN 978-2-930427-87-4

rosier de l insulte aux femmesDéjà Jacqueline Harpman vomissait la qualification de “pisseuse” décernée par son père à sa naissance, fût-ce dans un roman comme La Fille démantelée. Pour elle, refuser l’assimilation à la flaccidité ou à l’étron, c’est exister et le dire.

Pisseuse”, c’est un des termes que Laurence Rosier cite en premier dans son livre, De l’insulte… aux femmes. Il en est beaucoup d’autres dont l’auteure nous dresse la liste éloquente. En toute connaissance de cause, elle qui a pour spécialité la linguistique et l’analyse du discours a notamment été commissaire de l’exposition Salope et autres noms d’oiselles, en 2015, à l’ULB, dont elle a rédigé le catalogue. Dans le présent ouvrage, il ne s’agit pas seulement de noter et de classer des particularités langagières mais d’en dégager le théâtre complet. Quels sont les auteurs, quelles sont les cibles, dans quel contexte l’insulte faite aux femmes se développe-t-elle ? Quel en est le multiple ? C’est tout un comportement et ses fondements qui sont mis en lumière derrière les mots. Une socialité orientée qui est hélas coutumière et ne cesse de croître et prospérer. Plus qu’un vertige de la parole le type d’insulte qui est réservé aux femmes est motivé par des convictions et implique un jugement de valeur. La preuve en est qu’un mouvement comme le féminisme a ouvert de nouvelles vannes et produit un vocabulaire différent, une famille inédite d’injures. Loin d’être superficielle, la pratique de l’insulte se veut violente et est destinée à blesser. Les exceptions sont rares. Ainsi on assiste parfois aujourd’hui à une resémantisation positive de certaines insultes, selon des contextes précis, dépendant de la situation, du locuteur et du destinataire. Par dérision et antiphrase, le plus souvent. Par exemple, lorsque les femmes se moquent (d’)elles-mêmes et détournent le propos.

Pipi réaction, subversion, révolution ?
La petite pisseuse a depuis longtemps rejoint les femmes, toutes les femmes, elle a grandi curieuse des mots et de son sexe ; née avec un surnom stigmate, elle en a exploré les recoins pour en faire, en un retournement, un mot talisman, presqu’un mot slogan…
Nous sommes toutes des pisseuses ?

Laurence Rosier articule son analyse en deux temps. Trois chapitres sont dévolus à cadrer la problématique. Depuis le détail des types d’insultes, avec variantes et partage entre histoire, actualité et signifiants, elle passe en revue les lieux de violence. Plus centré sur le substrat des attitudes, un chapitre concerne plus particulièrement le genre, la morale, le discours en général et les réactions ou le silence féminins. La deuxième partie de l’ouvrage consiste en une étude de cas autour de figures comme la guérillère, la star de téléréalité, l’écrivaine, la femme politique. Cette dernière est la cible de violences dépassant le stade du verbe : l’insulte politique peut déstabiliser davantage parce qu‘elle débouche sur l’insulte sexiste, raciste, morale, en un mot polyphonique et gravement blesser.

La matériau est familier à notre auteure qui a étudié toutes les modalités du discours rapporté, en particulier l’histoire, les théories et les pratiques. Plus qu’un traité de l’insulte, le livre est une mise en demeure du langage même et la démythification de comportements qu’on ne peut laisser à l’indifférence.

                                                                                                                      Jeannine Paque