Vincent Tholomé. L’écriture comme espace de nœuds tholoméens

Vincent THOLOMÉ, Mon voisin Noug, Éd. Centre de Créations pour l’Enfance de Tinqueux, collection « Petit VA ! », 2018, 23 p., 5 €

tholome mon voisin nougPoète, auteur performeur réinventant la langue, notre rapport au verbe, Vincent Tholomé s’aventure avec Mon voisin Noug dans l’espace des livres pour enfants. D’emblée, il métamorphose ces derniers en ouvrages où l’enfance — l’enfance du monde dirait Deleuze, mais aussi l’enfance du langage, de la sensation — se déploie.

Nul étonnement à voir Vincent Tholomé rejoindre la collection « Petit Va ! » des Éditions du Centre de Créations pour l’Enfance de Tinqueux, laquelle a  accueilli des plumes singulières comme Liliane Giraudon, Julien Blaine, Édith Azam, Laurence Vielle…

Le fond de la vie a pour nom l’absurde, le décalé, on n’y échappera pas. De The John Cage Experiences (qui a reçu le Prix triennal de poésie de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2011) à Mon Voisin Noug, on se heurte à une même exploration des terres aux confins de l’oral et de l’écrit, à une descente dans les sons, dans une déstructuration des systèmes de syntaxe, de récit. Les mots sont affaire de rythme, de souffle, de dynamitage des formes du penser et du raconter. Mon Voisin Noug tourne autour d’un centre qui se dérobe, n’avance des paroles que pour les franger d’incomplétude. Un théorème surréaliste d’indétermination anime le texte. Sous une forme qui tient à la fois du dialogue et du monologue, le texte est à la poursuite d’un certain Noug (parent du Snark de Lewis Carroll) que le narrateur s’échine à distinguer d’une tribu qui permet à l’auteur de s’adonner à sa passion des jeux sur les signifiants : à côté du voisin Noug, il y a le voisin Nag, le chantre d’un manifeste de l’égalité parfaite entre les êtres, celui qui a planté sa fourchette dans la main de l’enfant Nig, il y a aussi la femme, la fille Naug, ou encore Nug et son enfant qui se prennent pour des chiens… De cet essaim de créatures logées à l’enseigne d’un loufoque qui dit la vérité sur le réel, il y a le voisin Noug dont on nous dit qu’il excelle dans les paradoxes logiques (il est « celui qui se dévêt afin de ne pas être nu ») et dont on apprend qu’il a déménagé.

La logique du récit est celle de la spirale d’un escargot monté sur le dos d’un renard. Celle d’une expérimentation à la fois ludique et exigeante, aléatoire et contrôlée où le texte questionne son avancement, sa possibilité même. Le mouvement scriptural de Vincent Tholomé pourrait évoquer celui de nœuds non plus borroméens mais tholoméens qui, sur le leitmotiv de la répétition, du retour, des changements de vitesse, délivrent une musicalité, un rythme reconnectant la langue avec son avant (ses pulsions, ses cris, le domaine de l’inarticulé, les sensations non médiées), avec son dehors. Ce texte tient d’une partition, d’une écriture polyphonique. La variation dans les polices et disposition graphique (portées musicales ouvertes où se diffractent des strates de « Noug », « Nog », « Neug » de tailles diverses) l’attestent.

Lors de ses performances, l’artiste fait des mots-souffles une machine de guerre contre le langage desséché et mort. Le lecteur traduira la composante orale de Mon Voisin Noug par un jeu d’associations libres, une dérivation Noug-nougat-nic-nac, gnou pour les dyslexiques. Sachant que la méthode Noug est une méthode de calcul afin de déterminer quand une personne tombe enceinte, on imaginera une méthode Noug, un cocktail numérologique que Vincent Tholomé a appliqué à la reproduction génétique des vocables et aux êtres dits de papier.

Véronique Bergen