Une rencontre au pays de Delvaux

Jean JAUNIAUX, Perception de Delvaux, édition Au Hibou des dunes, 2018, 40 p., 8 €, ISBN : 978-2-96022128-0-8

jauniaux perception de delvaux.jpgSous le titre intrigant Perception de Delvaux, une nouvelle de Jean Jauniaux imagine une rencontre touchante, un jour d’été, dans le musée de Saint-Idesbald consacré au peintre.

Le narrateur, l’autocariste qui a conduit un groupe de touristes japonais de Bruges à Gand, puis jusqu’à Saint-Idesbald, et l’accompagne dans sa visite, remarque une jeune fille qui s’attarde devant chaque tableau, laissant s’éloigner ses compagnons de voyage avec leur guide jacassant, absorbée par sa contemplation fervente.

Une conversation s’engage.Yuri raconte qu’elle étudie l’histoire de l’art à Tokyo, et envisage de consacrer sa thèse à Paul Delvaux : elle voudrait montrer les rapprochements qui l’ont frappée entre les femmes peintes par l’artiste et celles figurant dans les estampes japonaises. Surtout l’intensité noire des regards, cette mystérieuse parenté entre l’œuvre de Delvaux et le mouvement artistique Ukiyo, qui signifie « monde flottant ».

Dans la dernière salle les attend un tableau troublant du peintre qui commençait à perdre la vue : un visage rond et blafard, aux petits yeux inexpressifs, occupe tout l’espace de la toile.

Yuri baisse la voix pour ne pas importuner un visiteur âgé, assis sur un banc. Mais celui-ci se lève et viens vers eux, attentif aux commentaires de la jeune fille, et lui dit en souriant : « Merci de m’avoir permis de « dériver / au fil de l’eau » ».

Allusion subtile au « monde flottant », évoqué dans un poème que Yuri, rentrée à Tokyo, traduira en français dans la lettre qu’elle enverra à son ami d’un jour :

Ne ressentir que le moment présent, / S’abandonner à la contemplation / de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier / et de la feuille d’érable… ne pas désespérer / à cause de la pauvreté et ne pas dévoiler sa détresse / sur le visage, mais se laisser dériver / comme une coquille vide / au fil de l’eau, c’est cela « ukiyo »

Ce vieil homme, on l’avait deviné, n’est autre que Paul Delvaux qui, devenu aveugle en son grand âge, venait souvent dans son musée écouter les réflexions des visiteurs…

Ce petit livre délicat, orné de deux aquarelles inédites, paraît en version bilingue, sous les auspices de la Fondation Delvaux, à l’occasion du cent vingtième anniversaire de la naissance du grand peintre du songe – qu’on s’émeut de sentir présent en filigrane.

Francine Ghysen