Quand le cœur vous en dit

Un coup de cœur du Carnet

Luc BABA, Chroniques d’une échappée belle, Maelström, 2018, 128 p., 14 €, ISBN : 978-2-87505-303-9

baba chronique d une echappee belleConteur volontiers porté sur la fiction un rien décalée, Luc Baba s’est mis cette fois au défi de parler de lui sans détours. Victime d’un accident cardiaque, il a mis à profit son immobilité forcée pour noircir des carnets de notes au fil des jours de son retour à la vie. Sur le ton et avec la légèreté bienvenue de la chronique, l’homme nous dit la rupture que l’incident marque dans sa vie bien remplie d’enseignant et d’artiste pluriel. Il narre la douleur qui l’a envahi, l’appel aux secours :

Brûler des feux. Ils vont brûler des feux pour sauver le mien. Ils soufflent sur les braises, ils prennent des nouvelles, calculent, oxygènent, m’appellent dès que je ferme les yeux. Ils vont essayer de rouler plus vite que le vent qui me traverse. 

Il nous parle des métiers de ceux qui prodiguent des soins aux autres, de leurs voix et de leurs gestes, de la blancheur et de la lumière des salles d’hôpital, du réconfort de se voir entouré de professionnels bienveillants, de proches attentionnés. Du plaisir que l’on peut prendre à se laisser porter par les autres alors que l’on n’est pas familier de cette posture, de s’y abandonner pour mieux faire reculer le mal :

Alors on sait. Quelque chose d’effrayant s’inscrit dans ce constat. On ne peut plus rien, il ne reste une chance de salut : les autres. Il n’est pas de lâcher prise plus difficile et plus beau, sans doute. 

Et vient le moment, une fois la douleur calmée, où l’on se prend à apprivoiser l’environnement direct, à ouvrir plus grands les yeux, à partir à la recherche des images accessibles à l’entour, à convoquer celles qui se logent dans les souvenirs. À tendre l’oreille et peu à peu à reconquérir l’espace, le mouvement, à porter le regard par-delà la fenêtre, vers les arbres. À repérer le vol de la perruche, le passage du renard sur les collines de Liège. Toutes choses qui conduisent à l’envie de mouvement, à la reconquête.

Ce redéploiement après avoir frôlé l’abîme impose au narrateur l’irrépressible sentiment que rien ne sera plus comme avant :

Demain, quelque chose aura changé, c’est cela que je pressens. Je serai en vie, mais en une autre vie, j’entendrai avec plus d’acuité les frémissements au fond du jardin, parce que j’aurai touché mes racines aux formes d’arbres. 

Une mélopée douce sourd de ces chroniques, sans prétention ni malice. Ces pages sont celles d’un accordage progressif. Les mots défilent, porteurs eux aussi du décalage propre à l’écriture poétique qui se plaît à jouer avec les reflets des choses, à convier l’inattendu. Dans ce mouvement de balancier incessant entre l’intime et l’universel qui fait le parfum des bonnes chroniques, Luc Baba excelle à dire le plaisir d’exister amplifié, sans emphase ni entrechats. Cet homme qui se livre ne se dépare jamais d’une juste pudeur, il pratique le doute et la modestie tout en s’offrant sans réserve à l’élan vital qui le porte vers des jours meilleurs et lui inspire le récit qu’il nous livre. On ressort de cette lecture avec un irrépressible sentiment de gratitude, celle que l’on doit aux gens de plume qui de leurs mots nous transportent en leur maison et qui, l’air de rien, nous ramènent à nous-mêmes les poches pleines de pépites:

Les ballons de plage finissent mal, dans les tempêtes ou dans l’oubli. Respire, la fin du monde n’existe pas. Nous sommes des graines éphémères, avec un corps capable d’accueillir la magie de l’éternité. 

Thierry Detienne