La lutte avec l’ange : entre épreuve et renaissance

Jacques DEMAUDE, L’épreuve et le baptême, Avec un frontispice de Jeanne-Marie Zele, Taillis Pré, 2018, 14 €, ISBN : 978-2-87450-132-6

demaude l epreuve et le baptemeDans la tradition juive, le mikvé est un bain rituel utilisé pour l’ablution, nécessaire aux rites de pureté. Le baptême chrétien y trouve sans doute son origine. Dans l’esprit de la Torah, l’immersion représente l’engloutissement dans l’eau d’un corps qui a été touché par l’impur. Ce rituel s’appuie sur une symbolique que Carl Gustav Jung et d’autres psychanalystes rapprochent de la vie intra-utérine, l’immersion évoquant tout à la fois la purification, la mort et une nouvelle naissance. Jacques Demaude, qui livre avec L’épreuve et le baptême une somme poétique importante, fait référence à la mort terrestre, à la fin de la vie d’un individu comme rite de passage vers une re-naissance : quoi d’étonnant pour le poète de Réveiller l’aurore, qui avait obtenu le Grand Prix de poésie Albert Mockel 2013.

L’ensemble, parfaitement architecturé, paraphe le volume distingué par l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Il se présente comme un livre testimonial, par ses nombreuses citations (où l’on peut suivre un itinéraire de formation intellectuelle, artistique et spirituelle), les circonstances dans lesquelles l’écriture surgit (expositions, concerts, instants de la vie quotidienne), les dédicaces (aux proches, aux amis, aux défunts, à l’épouse), les diverses thématiques (la vie, la mort, la guerre, la misère sociale, la faute originelle, le paradis et l’enfer, le purgatoire, la faim spirituelle, la rédemption, l’amour, la recherche de la sagesse, la Foi et le doute…).

Le lecteur y découvrira aussi en filigrane un journal de bord : dans cet imposant testament poétique, Demaude souligne les articulations entre son environnement, l’inspiration et le texte final. Il y a peu d’exemples de ce procédé original dans notre création poétique. Ce faisant, le poète offre à son lecteur un ensemble de chemins de clairière dans un massif original et très touffu, livrant des aperçus sur son immense culture nourrie par la lecture des Écritures, par celle des poètes d’Europe centrale et des Balkans, par la tradition juive, la théologie protestante, la peinture, la musique, les poètes allemands, les poètes anglo-saxons…

« Que cette glaise enfin soit délivrée/Que la quiétude y mûrisse du vin ! » s’exclame le poète dans les deux derniers vers de son dernier texte (« d’après, dit-il en note, un tableau du peintre slovène Zdenko Husjan : Prise de terre »). Constitué de poèmes très courts – dans l’esprit du haïku, ce poème japonais traditionnel de trois vers comportant respectivement 5, 7 et 5 mores (ou syllabes en français) et contenant un kigo (mot de saison) – mais aussi de quintils, puis de longs versets ou de grands textes imprécateurs et inspirés en vers libres, dont le ton rappelle celui des prophètes de l’Ancien Testament, l’ensemble poétique est continuellement irrigué de rappels, de connivences et de rapports méta-textuels qui enrichissent une lecture qu’on ne peut épuiser.

L’épreuve et le baptême, titre générique, qui fait référence à la responsabilité humaine devant son destin, est composé de titres dont l’intitulé résume les étapes d’un mûrissement et d’une ouverture confiante, d’un final lâcher-prise où le poète remet son âme entre les mains du Créateur : « La mort est mon baptême » montre le poète aux prises avec les affres du monde et l’esprit de décadence. Il s’exhorte, face à la condition souffrante, à suivre son chemin. « Je me soulèverai » est un cri de confiance en la volonté du Créateur et un acte de foi dans les capacités de résistance et de résilience de l’homme. Entre l’Être et le Néant, c’est dans la compassion et l’amour, vertus christiques, que la créature trouve sa raison d’exister. Une grande œuvre. Un livre d’une valeur morale et esthétique incontestable.

Éric Brogniet