Instants de vie

Olivier ODAERT, Solitudes, Illustrations de Sylvain Delcourt, Academia, 2018, 121 p., 15 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2-8061-0381-9

odaert solitudesSolitudes. Un recueil de nouvelles brèves, saisissant des instants qui marquent notre vie, et que nous gardons secrets, cachés dans les plis du quotidien.

Ici, un homme assis depuis des heures sur un banc, dans un parc, immobile, silencieux, ne semble pas conscient de la présence à ses côtés d’un jeune garçon qui lui prend la main, cherche son regard perdu dans le lointain. Il se lève, s’en va marcher sans but dans les allées, revient, interroge doucement : « On y va, Papa ? », ne reçoit pas de réponse. Le soir tombe, le froid pince, les passants ont déserté le parc. Et le garçon part à son tour, après avoir une dernière fois posé contre sa joue une main désormais froide et rigide, et murmuré un bonsoir à l’accent d’adieu. (Papa)

Là, un promeneur nostalgique emprunte le chemin creux des balades en famille du temps de son enfance, qu’il n’a plus suivi depuis ses douze ans, et dont il découvre enfin où il mène… (Le Sentier Perdu)

Plus loin, une jeune fille pédale avec fougue, son frère derrière elle, pour rallier son village. La guerre est finie, ils reviennent au logis, bientôt ils embrasseront leur mère. La vie recommencera là où elle s’était arrêtée. À moins que… (La Revenante)

À l’écart de la réunion familiale effervescente qui célèbre l’An Nouveau – champagne, petits fours, rires obligatoires –, ils sont deux à penser à l’absente. À fêter, comme elle s’y plaisait, le temps qui passe « parce qu’il est notre meilleur ennemi ». Et pourquoi ne fêterait-on pas aussi la fin du monde ? (À la Fin du Monde)

On s’attendrit devant la surprise d’un petit garçon curieux qui, descendu au salon après avoir entendu du bruit en pleine nuit du 5 décembre, y trouve son père penché sur une table couverte de cadeaux et de friandises. A-t-il vu saint Nicolas ? s’inquiète l’enfant. Puis, la vérité se faisant jour en lui : comment son père est-il passé par la cheminée ?! Et il pose une dernière question désarmante : « et maman, elle sait que c’est toi ? » (Par la Cheminée)

On partage le moment de grâce d’un matin d’hiver où, elle s’en émerveille, tout est différent. Le poids des jours ne pèse plus sur ses épaules, elle se sent légère, « inexplicablement jeune et neuve ». Elle se risque au jardin, dans le soleil et la bise, la sève des jours anciens monte en elle, et elle voit apparaître et danser toutes celles qu’elle a été, enfant, adolescente, jeune fille, femme… (Magie blanche)

Mais on ressent le désarroi d’une femme heureuse qui, dans « le bleu profond du plein été de sa vie », est chavirée par une passion d’adolescente. (L’Orage)

L’histoire la plus troublante nous montre un professeur, soudain décidé à vivre son amour avec celle qui l’attend chaque mercredi, et rêve en vain qu’il lui apporte des fleurs et ne la quitte pas à la tombée du jour. Mais il ne parvient pas à retrouver la route qui l’a toujours conduit chez elle, de l’autre côté de la frontière, cette route qui maintenant se dérobe. Il persistera à la chercher chaque mercredi, « son fol espoir en bandoulière ». (La Frontière)

La plus belle est peut-être celle dans laquelle un homme, calmement déterminé à abréger ses jours avant que le cancer ne l’assiège, disait à ses enfants : « Je choisis de mourir de mon vivant, et ce n’était pas une boutade. […] Je veux être libre et décider moi-même du moment ». Au soir d’une fête réunissant ses proches, il monte dans sa voiture et gagne seul la montagne où il prend congé du monde, pénétré d’une infinie reconnaissance envers lui-même, et se dit « merci pour toutes ces années, pour ces joies et ces peines, merci d’avoir tenu bon, merci d’avoir aimé, je te pardonne les peurs et les faiblesses, et il se dit je t’aime, je t’ai aimé ». (Trouver la Mort)

De courts récits dans la gamme des gris, tantôt bleutés, tantôt foncés, parfois virant au noir. Illustrés chacun d’un petit tableau qui les accompagne subtilement et les prolonge.

Francine Ghysen