La geste Zola

Laurent ROBERT, Gorgonzola, Le chasseur abstrait, 2018, 88 p., 15 €, ISBN : 978-2-35554-418-7

Gorgonzola de Laurent RobertAu début on se demande ce qui se passe, on lit et on ne comprend que des « fusées », apparemment, car tout est dans une apparence biaisée dans le Gorgonzola de Laurent Robert. Une apparence fictive. Une apparence fictive. « Gorgonzola » n’est pas un fromage de vache persillé fabriqué dans le Piémont et la Lombardie, mais plutôt une « gorgone Zola »,  une façon de renvoyer les lecteurs à une sorte de sidération devant ce texte composé de 155 tankas, à une expérience de réanimation de soixante-deux  ans de la vie d’Émile Zola et de son époque faite de lutte, de misère, de courage et de son génie.

 

Laurent Robert affectionne les formes poétiques que sont les haïkus et ici les tankas, ces poèmes archaïques de la poésie japonaise traditionnelle qui expriment des sentiments intenses sur une musicalité simple et apparemment légère.

L’auteur cherche apparemment à nous piéger, à nous mettre en état de recherche et même d’inquiétude. Qu’est-ce que nous regardons et qu’est-ce qui nous regarde ? Lisons alors ce recueil à haute voix dans l’articulation d’une forme de compassion à un « tout Zola ».  Le miracle a lieu.  La scansion met en place une forme de chanson de geste qui condense en un titre voltigeant une époque, une tragédie, un destin, celui d’Émile Zola.

Mais que nous raconte l’auteur sous la figure et l’époque de Zola? La violence, la suffocation des corps, ceux qui grossissent et ceux qu’on écrase en une masse qu’on appelle encore le peuple, il décline Zola et son temps dans l’écho des femmes et des hommes qui sont en première ligne de la misère, de la grande révolution industrielle, des révolutions bourgeoises qui se succèdent après celle de 1789, il écrit des cris étouffés, le désir des femmes, la lutte contre l’opaque bêtise du temps,…

1840
Le 2 avril à onze heures
Braillement premier
D’un Émile parigot
Au 10 bis rue Saint-Joseph
Les corps parentaux
La pucelle et l’ingénieur
La double infortune
En Provence l’unisson
Le bref instant où jouir

L’auteur pratique avec joie l’art de la parataxe qui est un mode de construction où les phrases sont souvent sans chevilles, sans coordination, juxtaposées comme dans l’enchevêtrement de bric-à-brac de la culture post-moderne. Cette façon d’avancer sans appui apparent ne cherche pas à perdre le lecteur finalement, au contraire, elle le relie à ces tropismes chers à Nathalie Sarraute. Ces façons de laisser flotter chez le lecteur ce qui existe « entre ».

Il nous annonce une biographie comme une ballade, allons en écoutant un temps percuter le nôtre dans la scansion du poète.

Daniel Simon

Laurent Robert (1969) est poète et essayiste. Il a notamment publié Protocole du seul (poésie, éditions Unimuse, 1994) et Georges Fourest ou le carnaval de la littérature (essai, Editions Universitaires de Dijon, 2012),…. Il est également collaborateur scientifique à l’UCL, département  Institut des civilisations, arts et lettres.