Derrière l’impossible des mots

Jean-Marie CORBUSIER, L’air, pierre à pierre, Taillis Pré, 2018, 137 p., 16 €, ISBN : 978-2-87450-134-0

Au téléphone, Jean-Marie Corbusier me dit qu’il est perfectionniste et pessimiste. Quel paradoxe ! Vouloir atteindre le sommet et ne pas y croire… Pour justifier cette apparente contradiction, il ajoute que pour lui, le mot est un obstacle derrière lequel il existe un espace nouveau et plus grand : le bonheur. À l’exemple du boxeur qui trouve la victoire après le combat. Autre explication : il fait une différence majeure entre le poème et la poésie.

le mur
soudain
levé

L’air est ce qu’il respire, c’est un besoin vital ; l’air, c’est le poème. Bleu est la couleur du ciel, c’est un artifice, c’est une illusoire perception chromatique ; bleu, c’est la poésie. Si celle-ci est intangible et insaisissable, le poème quant à lui est comme un caillou bel et bien réel qui bâtit un chemin vers elle. Ainsi le titre du recueil prend son sens. L’air, pierre à pierre peut se traduire comme suit : le poème, pas à pas vers un idéal absolument inaccessible.

Une plante qui a soif
un matin bleu

Dès lors, l’auteur insiste beaucoup : il se méfie des mots. Ils sont tous un obstacle à franchir, une polysémie à maîtriser, un malentendu probable. Sa faim de perfection est d’autant plus forte. Ne pas tromper le lecteur, l’atteindre, se rejoindre, se comprendre sans erreur possible. Jean-Marie Corbusier se réveille la nuit. Le lecteur l’inquiète autant que le mot. Ne pas le décevoir. Ni lui, ni la langue française qu’il a enseignée « avec une discipline de fer ».

Les cris étouffés
les paroles au plus dru

Le sentiment de perfection, sa recherche, se ressentent lentement, assurément dans ce recueil illustré grâce aux encres de Dominique Neuforge, compagne de l’auteur. À partir des textes, elle bâtit des figures qui ressemblent à des amas de cailloux emprisonnant l’air et en même temps qui respirent. Les dessins inspirent et expirent. On les imagine bien battre comme un cœur lorsqu’on bat les pages du livre.

Le jour passait plus tranquille, les mots résonnaient à leur juste place

Ce souffle, pierre à poème, poème à dessin, à dessein soutenu par la répétition des vocables aube, jour, vent, mot et terre, font pierre à pierre entrer dans un espace hypnotique. Le nombre important de textes, de cailloux sur le chemin, y participe, faisant d’une simple promenade une randonnée sauvage autour des sentiers battus par René Char lorsqu’il dit que « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne ».

Tito Dupret