Le roi est mort, vive Coché !

Un coup de cœur du Carnet

Frédéric COCHÉ, L’homme-armée, FRMK, 2018, 56p., 20 €, ISBN : 9782390220091

Il est des œuvres qui nous désarçonnent, décillent nos yeux blasés, plantent en nous la graine d’un doute fécond. L’homme-armée, premier livre de Frédéric Coché à alterner sa technique minutieuse de gravure en eaux-fortes et sa patte de peintre féru de zones d’ombres (une alternance réussie, qui donne toute sa force énigmatique à l’ensemble, et permet de jouer sur quantité d’échelles) est définitivement de ces pierres philosophales-là. Il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour s’assurer d’en embrasser tous les détails. D’ailleurs, peut-on être certains que ce qui se déroule devant nos yeux ne nous a pas égarés, fait bifurquer sur un chemin de traverse ? Se peut-il que la carte du Tendre qui s’étend de la deuxième couverture à la page de garde puisse devenir une de nos boussoles, pour passer sans encombre du chemin des Dames au Rempart de dentelle et de soie ?

À l’entame, c’est un monstre mi-Hulk mi-gorille et 100% rose qui nous toise, de petits volatiles perchés sur ses énormes poings, le sourire patibulaire. Une fois le livre ouvert, le voilà qui envahit l’image, se débat, éructe, écume de rage contre une cohorte d’hommes engoncés sous des heaumes et des cottes de maille, bien mal protégés de sa fureur phénoménale derrière leur bouclier. Tout ou presque se passe ici de mots, seules les onomatopées finiront par envahir le champ de bataille : « Boum, Kaboum, Taka, Krash ». Voilà notre créature criblée de flèches, sauvé in extremis par la fumée envahissante d’un pistolet d’alarme. Était-ce une lutte sanglante réelle ? De hauts faits du temps jadis ? Une fois qu’il a pu déserter les lieux, nous le voyons rire aux éclats de ses propres aventures, imprimées sur feuillets, à la manière d’un comics. À ses côtés, le mystérieux individu qui l’a tiré d’affaire. Dans le camp adverse, un cavalier est venu rejoindre le palais. Un homme se meurt, avec à ses côtés le roi, affligé, et donnant la sérénade (ou plutôt le glas, celui de la chevalerie et de la renommée qui ne font plus « que cliquetis de squelettes »), trois créatures drapées de blanc tout sauf inoffensives. À l’autre bout du territoire, notre monstre se dirige à grands pas vers l’Observatoire d’un homme de sciences, en quête de réponses… pour la suite, il faudra vous engouffrer dans cet album à la suite des héros, des hérauts et des oiseaux qui tournoient autour d’une tour qui tutoie de très près le ciel.

L’homme-armée est une œuvre plurielle et fascinante dont la pulsation, aussi organique que noirâtre, continuera longtemps de battre en vous. Elle nous redit combien, à mi-chemin du monstre, l’humain peut être happé par ses désirs (de conquête, d’amour absolu, de connaissance) et combien une vibration violente, véritable mélodie obsessionnelle, peut jaillit de ses frustrations. Mais qui sait… vous pourriez y percevoir tout autre chose !