L’après

Laure CHARTIER, Un fait divers, Lansman, 2018, 44 p., 8 €, ISBN : 978-2-8071-0219-4 

Que se passe-t-il les minutes, les heures, les semaines, les mois qui suivent un viol ? Comment traverser cette épreuve et faire face à son agresseur quand on a le cran de porter plainte ? Comment survivre ? Dans Un fait divers, nous suivons toutes ces étapes à travers les yeux de la victime, une fille sans histoire, celle que d’habitude on ne voit pas, celle dont on oublie le nom.Le parcours du combattant l’attend. La tête qui tourne, la fatigue, les émotions qui jouent au yoyo, entre rires et larmes, le clan qui se referme pour mieux vous protéger, la police, le psy qui vous parle d’internement, la gynéco et son kit-viol, le traitement de trithérapie préventif et ses effets secondaires, les difficultés de continuer à travailler coûte que coûte, l’identification du violeur, le procès, la condamnation, le retour dans le bar où tout a basculé,les paroles des autres…

Laure Chartier, comédienne, auteure et narratrice, raconte cette histoire – son histoire – avec un grand  sang-froid, presque médical par moment, très pudique et sans aucun apitoiement. Elle n’hésite pas à utiliser l’humour pour désamorcer certaines situations plus difficiles. Nous vivons cet après à ses côtés sans jamais la victimiser. Au contraire, son courage nous émeut, nous impressionne. Certains passages nous révoltent, comme celui qui évoque les pratiques d’un expert missionné par le tribunal. La nausée nous prend à la gorge. À la fin, l’auteure se montre plus à découvert, nous livre ses émotions.

Chaque jour, des dizaines de femmes sont violées en Belgique. Les chiffres donnés par les statistiques font froid dans le dos. Et pourtant ils ne recensent pas toutes les victimes. Combien de femmes subissent également de la violence sexuelle dans l’ombre ? Laure Chartier pointe une anomalie de notre justice : pourquoi juger en correctionnel un viol et non à la Cour d’assises ? Un viol n’est-il pas un crime plutôt qu’un délit ? Que sont les victimes de viol après tout ? De simples faits divers ? Le viol ne provoque-t-il pas des blessures non cicatrisables ? Certes une reconstruction est possible, heureusement. Mais quelque chose ne reste-t-il pas à tout jamais cassé, fêlé, amoché ? À moins que la vie ne reprenne toujours le dessus…

Il paraît qu’écrire, mettre les mots sur l’impensable, l’innommable aurait des vertus thérapeutiques. Ce qui est certain, c’est qu’avec ce récit et ce monologue créé, avec l’auteure elle-même,en avril 2018 au Théâtre Le Public, Laure Chartier embarque avec elle toutes les voix, audibles et inaudibles, des victimes de violences sexuelles. Il n’y aura jamais assez de mots, de récits, de témoignages pour rappeler que cet acte lâche et infâme existe et qu’il ne devra jamais être banalisé ni relégué dans un petit coin de la gazette.