Demeure, souvenir

Claire MAY, Oostduinkerke, Aire, 2019, 180 p., 20 €, ISBN : 978-2-94058-629-5

Les lieux de vacances occupent une place singulière dans les souvenirs d’enfance. Leur prégnance se trouve évidemment renforcée lorsqu’une maison familiale y est attachée dans laquelle on a l’occasion de revenir ensuite. Alors, chaque séjour rend vie au passé, donnant l’illusion pleine d’un retour dans le temps.

La famille d’Emma est propriétaire d’une villa à Oostduinkerke où elle se plaît à revenir. Les lieux sont demeurés intacts et libèrent la machine à souvenirs. Chaque séjour est l’occasion de déployer les rituels habituels de la promenade sur la digue, du repas dans tel restaurant qui n’a pas changé.

Cette fois pourtant, Emma croise Charles et cela chamboule tout. Alors qu’elle bénéficie du privilège de l’oisiveté dans ce moment de villégiature, son regard est attiré par cet homme qui exerce avec élégance le métier de serveur dans une brasserie qu’elle se plaît à fréquenter. Homme de contact à l’aise dans sa fonction, il sait prodiguer les services et l’attention qui donnent envie de revenir s’assoir ensuite à la même table. Entre Emma et Charles, la séduction tisse ses fils dorés. Rapidement, ils partagent balades et confidences et laissent peu à peu libre cours à leur passion partagée. Nous y apprenons que Charles n’est pas seulement cet être calme et posé, qu’il a déjà fui des tumultes avant d’être embauché au Rubens.

En leur compagnie la côte belge nous apparaît sous un jour familier que l’autrice rend avec justesse :

Et puis il y a le traditionnel château de sable, on creuse en rond et on met le sable au centre, le tas grandit, grandit, on dessine des portes, des ponts-levis et des murailles, on décore le tout. Une fois que c’est fini, on attend que la mer monte, qu’elle s’accroche à la citadelle avec ses longues mains d’écume. Souvent, quand ça arrive, les enfants crient, pas de tristesse, mais de joie. Ils sont tellement contents qu’ils grimpent sur le château en ruines et l’achèvent avec les pieds. On ne dirait pas mais ils sont de mèche avec la mer, les petits Belges.

De cette écriture fluide et enjouée, Claire May trace un roman abouti. Emma nous livre ses observations d’enfant et celles, souvent plus acidulées, d’adulte. Sa vie à la côte a toujours été une parenthèse hors du temps, loin de la Suisse où elle réside, et elle l’est une fois de plus, partagée entre lectures et flâneries.

Déjà ébranlé par la passion, cet univers longtemps intangible est aussi soudainement menacé par des projets immobiliers d’un membre de la famille qui a embobiné les autres propriétaires. Hantée par cette perspective, Emma mesure que ces projets marqueront la fin d’un monde auquel elle tient intensément. Vaut-il mieux tourner la page avant qu’un intrus l’arrache ?

Rendu avec grande justesse, ce récit bien mené forme un premier roman réussi qui nous entraîne en terre et mer proches et réveille nos propres souvenirs d’enfance, cette matière première littéraire inépuisable aux parfums si doux.

Thierry Detienne