Et si la clé de la liberté intérieure n’était pas là où on l’attendait ?

Brigitte GUILBAU, Jörg Oeuil, LiLys, 2018, 143 p., 17 €, ISBN : 9782930848556

Jörg Oeuil vient de mourir et débarque nu avec des ailes sur la terre. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne se souvient pas de sa vie et de sa mort, que personne ne le voit et qu’il n’arrive pas à voler. Il assiste avec une certaine désolation mâtinée de solitude à l’évolution du monde : explosion démographique, guerres, armes de destruction massive, prise de pouvoir de la finance…

Le temps s’écoule indifféremment pour lui jusqu’au jour où un SDF l’interpelle avec une certaine brusquerie. Surpris, notre héros se laisse molester pour comprendre ce qu’il se passe, il découvre alors que le mendiant vient de mourir et que cet élément commun entre eux explique probablement qu’ils peuvent se voir. Même si la franchise vulgaire de cet inconnu irrite quelque peu Jörg Oeuil, celui-ci décide de passer du temps avec ce nouveau compagnon, prénommé Jules. Il comprend rapidement que derrière son attitude blasée, Jules cache des blessures profondes. Jörg Oeuil respecte ses silences et attend que l’ancien SDF soit prêt à parler de son passé.

Un lien se crée entre eux car ils se posent des questions un brin existentialistes, prennent un plaisir dissimulé à se chamailler, mais ils se demandent aussi ce qu’ils font là. Ils pensent qu’ils ont un point commun à découvrir, cherchent à faire resurgir la mémoire de Jörg Oeuil et lorsque celle-ci revient à la surface, ils découvrent, penauds, l’orgueil et la lâcheté qu’ils ont en commun.

De l’histoire, il vaut mieux ne rien dire de plus pour ne pas briser le suspense. Juste que cette fiction nous raconte l’histoire de deux hommes rongés par la culpabilité et une vie malheureuse, ayant porté aveuglément un lourd bagage transgénérationnel. L’histoire interroge sur la possibilité de mettre fin à cette transmission de non-dits de génération en génération, mais elle porte aussi sur la délicate question du pardon. Faut-il, peut-on pardonner aux autres, mais aussi et surtout à soi-même ? Cela pourrait paraître pesant, mais l’histoire est plaisante à lire, même parfois assez légère, grâce au franc-parler de Jules qui nous donne à lire quelques scènes cocasses savoureuses.

– On lui donne un nom et c’est tout ! […]
Jörg Oeuil retourna le chat sur le dos dans ses bras et écarta la queue.
Jules demanda :
– Que fais-tu ?
– Pour le prénom…
-Tu penses que c’est tatoué sur son cul ?
– Mais non, Jules, tu es insupportable, je veux connaître son sexe.
Le jeune homme bougea les doigts sur la fourrure, vérifia et se tut. Il cherchait un prénom. Son mutisme énerva Jules.
– Alors, c’est quoi ?
– À ton avis ?
– Ah non, ne me dis pas ça !
– Je ne le dis pas.<
– Une filoute, il ne manquait plus que ça. Ah, on fait une fine équipe tous les trois. Un épouvantail, une femmelette et maintenant une femeu, une gamoss, une gazelle.

Jörg Oeuil est un roman plaisant à lire, pour rire de bon cœur et envisager avec tendresse les erreurs et non-dits propres au genre humain.

Séverine Radoux