La mythologie moderne de Giorgio de Chirico

COLLECTIF, Giorgio de Chirico. Aux origines du surréalisme belge : Magritte-Delvaux-Graverol, BAM – Mardaga, 2019, 144 p., 29,90 €, ISBN : 9782804707262

Giorgio de Chirico (1898-1978) fut l’un – peut-être même le premier – des initiateurs du surréalisme en peinture. En Belgique, la révélation de son œuvre constitua un choc majeur pour René Magritte, qui se plaisait à dire que, grâce à lui, « [s]es yeux ont vu la pensée pour la première fois ». Jusqu’au 2 juin 2019, une exposition exceptionnelle se tient au BAM de Mons, qui met en scène le dialogue entretenu par Magritte mais aussi Paul Delvaux et Jean Graverol avec la production du mage italien.

Le catalogue issu de cet événement se lit autant qu’il se contemple. De substantielles contributions nous permettent de pénétrer dans cet univers onirique et troublant. Face à une toile de Giorgio de Chirico, toute en apparente immobilité, le spectateur assiste bien à ce que Xavier Roland nomme avec justesse une « dramaturgie silencieuse ». Roland revient notamment sur l’importance du cadre citadin chez Chirico qui, dans ses tableaux mais aussi dans un roman méconnu intitulé Monsieur Dudron, ajoute, à la dimension esthétique de son art, un regard engagé sur l’urbanisme. Chirico avait ainsi développé une vision de la ville harmonieuse et sereine, rejetant le spectacle « agité et mécanisé » qu’elle offrait aux contemporains. « Longtemps perçu comme rétrograde, ce discours trouve une forme de résonance dans les enjeux de nos villes actuelles » explique encore le directeur du BAM.

Laura Neve s’attache quant à elle à dégager l’influence spécifique de l’artiste sur les trois figures majeures du surréalisme belge convoquées ici. Chez Magritte, la présence de Chirico se fera sentir jusque dans la période Renoir des années 1940. André Delvaux « nordicisera », en les grisant et les bleutant, les tonalités couleurs chaudes et ocreuses, méditerranéennes, de ses paysages et de ses atmosphères tandis que, chez Graverol, l’influence se marque davantage dans le traitement des objets, incongrument associés, qui font culminer le processus de « rencontre fortuite » à la base, comme on le sait depuis Lautréamont, du surgissement de toute « beauté convulsive ». Lorenzo Canova envisage la période 1925-1929, où l’artiste vit à Paris la phase la plus lyrique de sa création. Jacqueline Munck revisite tout son parcours sous l’angle du rapport à la métaphysique. Enfin, Victoria Noël-Johnson se penche sur les liens privilégiés de Chirico avec l’exceptionnel collectionneur et bibliophile belge que fut René Gaffé.

Bien que considéré comme un artiste de grand talent et d’importance, Chirico n’est sans doute pas encore mesuré à sa juste envergure aujourd’hui. L’exposition montoise lui rend sa place de contemporain capital dans le domaine pictural. Qu’importe au fond le temps qu’il aura fallu avant qu’advienne cette reconnaissance. Monsieur Dudron s’en était fait une raison, lui qui avait appris de son maître Arthur Schopenhauer qu’« un long sommeil est indispensable pour les hommes de génie. »

Frédéric Saenen