L’île aux ressacs

Arnaud NIHOUL, Caitlin, Genèse, 2019, 312 p., 22.50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9791094689226

Laggan, une île au petit goût d’Hébrides, modestement peuplée et, battue par les fureurs océaniques… Des entassements de roches que dominent un phare difficilement accessible et la tour d’un vieux château édifié autrefois par le clan écossais des Campbell… C’est le décor de Caitlin, premier roman publié par le Namurois Arnaud Nihoul. Décor que Ian, natif des lieux, redécouvre à l’appel de Morgan, son ami d’enfance, éternel gagnant toujours très sûr de lui et devenu aujourd’hui un écrivain de réputation mondiale dont on s’arrache les romans policiers. Vingt-trois ans plus tôt, les deux adolescents et Murray, un troisième compère, avaient accueilli dans leur bande Caitlin, une fille de leur âge, farouche et d’une « mélancolie rude », arrivée sur l’île pour vivre chez sa vieille tante Moïra.

Après leurs études à Glasgow, Morgan avait amorcé sa brillante carrière littéraire, Murray allait devenir pasteur sur l’île. Quant à la jeune fille, elle avait élu Ian comme époux parmi les trois amis, tous amoureux d’elle. Plus tard, éblouie par les succès, les voyages lointains et la vie mondaine de Morgan, installé dans le château des Campbell dont, devenu riche, il a restauré les ruines, elle avait quitté Ian qui dès lors allait fuir Laggan et intégrer la police de Glasgow. On le retrouve donc en train d’arpenter l’île de sa jeunesse et « d’affronter la faille qui la coupe en deux comme celle qui s’est creusée dans l’amitié entre les trois hommes ». Pourquoi cet appel de Morgan ? Deux mois plus tôt Caitlin a disparu dans des circonstances impliquant clairement sa mort, suite à la chute du haut d’une falaise dans le mascaret océanique où son corps n’a pu être retrouvé. Au château, Ian – narrateur du récit – accède à la demande de Morgan visiblement effondré par cette disparition : tenter de reconstituer les faits et si possible de retrouver le corps ou ce qu’il en reste. (Question somme toute de « faire son deuil » selon la formule plus ou moins adéquate en faveur aujourd’hui). Si Ian accepte cette mission, c’est au nom de leur affliction commune qui remaille quelque peu l’amitié de naguère, mais motivé surtout par l’amour qu’il porte toujours à celle qui l’a trahi.

Voilà ainsi posé le seuil d’un roman policier riche en rebondissements, en éléments troublants, en ressacs du passé, aussi présents que ceux qui battent les flancs de l’île. Comme les disparitions de plusieurs gardiens du phare, aussi mystérieuses que celle de l’intendant du château constatée le jour même où Caitlin s’est volatilisée…

Habile à multiplier les impasses, les détours ou les coups de théâtre, Arnaud Nihoul – par ailleurs architecte de métier – signe avec cette entrée réussie en littérature un polar bien structuré certes, mais aussi un roman où les richesses psychologique et sentimentale sont servies, jusque dans la violence, par une écriture d’une grande élégance. Cela dit, au-delà de l’intrigue, Caitlin est aussi (surtout ?) à travers de nombreuses descriptions, une célébration amoureuse de cette Écosse que l’auteur connaît bien. Célébration de sa nature, de sa faune – des troupeaux laineux aux oiseaux marins et aux pataugeoires de phoques –, de ses paysages âpres ou bucoliques, de ses lochs insondables, et, bien entendu, de ses chapelets d’îles, exposées comme Laggan aux noces sauvages de la marée avec les chaudrons bouillonnant au pied des escarpements rocheux…

Ghislain Cotton