Le texte affleurant sous la bogue

Jean-Pierre OTTE, Cette nuit est l’intérieur d’une bogue, Le temps qu’il fait, 2019, 117 p., 15€, ISBN : 978-2-86853-655-6

D’où naît le poème ? À quelle source puise-t-on pour faire éclore l’image poétique ? En publiant ces textes de jeunesse, Jean-Pierre Otte répond en quelque sorte à ces questions essentielles sur l’acte d’écrire. Il démontre en même temps toute la cohérence de son projet littéraire puisque ses thèmes de prédilection sont présents dans ces écrits-bourgeons. La nature, les paysages de l’Ardenne natale, la méditation, le surgissement des mots, les mythes de la création, le monde intime des femmes, autant de rameaux qui sont déjà là, dans ces proses, ces poèmes qui composent l’ouvrage. Des fils rouges qui courront tout au long de son œuvre qui prend racine dès le milieu des années 1970 avec les premiers livres publiés notamment chez Robert Laffont ou Julliard. Une œuvre-rhizome que celle de Jean-Pierre Otte et dont on débusque ici, au travers des liens qui sont en train de se tisser, les premiers tubercules annonciateurs du labyrinthe intérieur qui se déploiera par la suite.

Dans cette arborescence aux multiples ramifications, les textes rassemblés aujourd’hui éclairent la lisière d’une œuvre s’éveillant dans l’adolescence. Une période marquée déjà par une extrême maturité que prolonge la lucidité du jeune auteur et le regard que celui-ci porte sur cette œuvre en gestation. Le premier texte, en prose,  intitulé Entrée en écriture donne ainsi, d’une certaine façon, la première clef ouvrant sur ce « vaste théâtre ambulant » dont il se fera le chantre.

Dans la mansarde, les mots demeuraient enveloppés d’un vide incolore, d’une sorte de cocon. Ils prenaient sourdement l’odeur des fruits mûrissants. Ils étaient comme de petits outils émoussés, ébréchés, rognés et noircis, dont tant d’autres avant moi s’étaient servis. Il fallait les reprendre un à un, leur rendre un tranchant et un éclat, découvrir de quels syllabes, sonorités et silences ils se composent. 

L’écho de ces années d’apprentissage se révèle entre autres par l’importance accordée au lieu clos et surtout par le contraste entre le cocon-mansarde où germent les mots et l’appel du monde extérieur. Les nombreuses images qui soulignent le va-et-vient entre le dedans et le dehors sont autant de preuves d’un désir naissant et impérieux de parole, de sons et de mots. Entre la nuit qui s’ouvre dans le titre et la bogue, l’espace tourbillonne et s’emplit de feuilles volantes attendant d’être noircies. La chrysalide sur le point de muer, de s’extraire doucement de l’ombre, du cocon, de la coquille, de la coque ou de l’étui, autant de métaphores disant la naissance à  l’écriture.

Au terme de la lecture, on reste frappé par la grande cohérence de ces textes d’où semblent sourdre les mots comme d’une source inépuisable. Jean-Pierre Otte n’a jamais cessé en somme d’être un sourcier, un poète-sourcier aux « syllabes de lichen et voyelles d’alcool ».

                                                                                                                      Rony Demaeseneer