Le poète-troupier du Spantole

Pierre-Jean FOULON, XL, Spantole, 2018, DL 2018-0667-4
Pierre-Jean FOULON, Los du troupier postmoderne et de ses acolytes, Spantole, 2018, DL 2018-0667-1

Pierre-Jean Foulon est un homme du livre, sous toutes ses coutures pourrions-nous dire. Licencié en philologie classique et docteur en Histoire de l’art, il est conservateur honoraire de la Réserve Précieuse du musée royal de Mariemont au sein de laquelle il a notamment créé une section consacrée aux livres d’artistes. En marge de ses travaux académiques, ce passionné est aussi auteur de textes qui oscillent entre poésie et prose. Une écriture exigeante et discrète que l’on suit personnellement depuis la publication du recueil À bords déchiquetés, paru en 1991 aux éditions du Spantole, la maison que fonda son père, l’écrivain et essayiste Roger Foulon, imprimant ses textes poétiques sur une presse privée artisanale. C’est dire que la matérialité du livre occupe une place importante dans le parcours de Pierre-Jean qui naturellement s’est tourné, dans le cadre de ses fonctions de conservateur et d’enseignant, vers l’étude et la promotion des livres d’artistes et des métiers qui y sont liés, graveurs, imprimeurs, éditeurs confidentiels, illustrateurs, etc. Rappelons aussi que cette histoire de « famille » est filialement rattachée à la ville de Thuin qui abrite d’ailleurs une Maison de l’imprimerie et de la typographie. Une région, la Thudinie, chère au cœur des Foulon qui l’ont arpentée et à laquelle le nom des éditions, Spantole, est étroitement lié puisque qu’il évoque un canon, une pièce à feu en fer forgé, butin symbolique de la ville qui fut, au cours des siècles, le théâtre de nombreux sièges militaires. Une passion aussi pour le patrimoine et l’histoire du « conté » thudinien, pour la perpétuation du folklore des célèbres marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse et dont l’auteur est un fervent partisan.

Passion donc pour le livre, les mots et l’Histoire, pour les images que cette dernière inscrit au plus profond de l’inconscient de chacun. Dans Los du troupier postmoderne et de ses acolytes, le poète passe en revue les violences des siècles. Criblée d’instantanés percutants et volontairement baroque, l’écriture ici tranche l’Histoire d’un coup de sabre ; les tambours et les fifres résonnent dans les plaines où se sont déroulées les plus âpres batailles. Les mots dès lors sont comme des coups de canon, des bordées tirées par le Spantole de l’encre trempée « au vinaigre des lexiques ».

Le monde accuse le poseur de bombes. Mais il sait, celui-là, que la violence aveugle, plus que ses petits excès de poudre, est semée par le prince et non par les rustres 

Sans pitié pour l’assaillant, l’épine troupière pénètre le front avec esprit de sacrifice. Conduit de main de maître, son dard virevolte au quart de tour dans l’organe central du martial équipage. La guerre porte ainsi en ses feux une dentelle et un présage 

Divisé en cinquante fragments, le recueil dévoile, par une succession d’images oniriques et épiques, les soubresauts d’une Histoire mondiale qui n’en finit pas de chercher à se relever. Comment résister au délitement du réel, aux mensonges du temps ? Comment recoudre les « bords déchiquetés » de la vérité ? Par les mots, seuls capables peut-être de rétablir les liaisons – les lésions – coupées.

Avec XL qui paraît conjointement, le jeu langagier du poète épouse la forme du livre. Le format allongé permet à l’artiste de déplier les fragments du recueil selon une combinatoire précise dévoilée en fin de volume. Une mise en page découpée en carrés où rien n’est laissé au hasard (choix du papier, couleur de l’encre, etc.) et qui permet de reconstruire, au fil de la lecture, un portrait mosaïqué. Si d’emblée on pense que le titre fait référence au format disproportionné de l’ouvrage, on comprend vite qu’il n’en est rien. Ce sont ici les chiffres romains qui sont convoqués, quarante comme le nombre d’éclats de prose poétique qui s’agrègent. Du côté du propos, la phrase d’entame est explicite et dit le projet,

Tant que le livre demeure, que les mots dispendieux surgissent en promesses d’éclairs, l’homme vit et s’accorde 

Avec plus d’une trentaine de livres publiés, Pierre-Jean Foulon est bien un homme du livre doublé d’un homme de l’image. Avec ces deux nouveaux textes, l’auteur poursuit sa lente archéologie des failles du monde en puisant aux sources de la langue et des mots. Une fouille méticuleuse qui fait surgir, sous des images explosives et parfois brutales, les incohérences d’un temps où, bien souvent, le vacarme étouffe la poésie et la poudre !

                                                                                                          Rony Demaeseneer