Gilles de Rais

Jean PLEYERS, NÉJIB, Jacques MARTIN, Jhen. Le procès de Gilles de Rais, Casterman, 2019, 48 p., 11,95 € / ePub : 8.99 €, ISBN : 9782203148956

Le procès de Gilles de Rais couverture Casterman

Cap sur le XVème siècle, sur les terres du connétable Gilles de Rais qui combattit aux côtés de Jeanne d’Arc contre les Anglais. Cap sur les domaines de Tiffauges, de Machecoul où le compagnon de la Pucelle se livra à de cruelles cérémonies, entre invocations au Diable, enlèvements, viols et meurtres d’enfants. Après la mythique Trilogie de Gilles de Rais (L’or de la mort, Jehanne de France, Barbe-Bleue) dans la série Jhen de Jean Pleyers et de Jacques Martin, cet album de Pleyers (dessin) et Néjib (scénario) réussit avec brio la mise en fiction de l’histoire de celui qui, à la mort de Jeanne d’Arc, se livra à une recherche effrénée de plaisirs sanglants et se mit en quête de la pierre philosophale. Soutenu par son ami, le jeune architecte Jhen — personnage de la série créée par Jacques Martin —, Gilles de Rais vit ses derniers moments. Héros de la Guerre de Cent Ans, guerrier valeureux luttant aux côtés de Jeanne d’Arc, dévoré ensuite par la fièvre des corps et la passion des mystères de l’alchimie, ce personnage clivé a fasciné ou interpellé bien des romanciers, bien des artistes, Georges Bataille (qui, dans Le procès de Gilles de Rais, parle d’un « monstre sacré »), Joris-Karl Huysmans (Gilles de Rais. La magie en Poitou), Michel Tournier (Gilles et Jeanne), Pierre Mertens et le compositeur Philippe Boesmans (l’opéra La passion de Gilles), Hugo Claus (la pièce de théâtre Gilles et la nuit), Roger Planchon (la pièce Gilles de Rais. L’infâme), Enzo Corman (les pièces La Plaie et le couteau ; L’Apothéose secrète)…

Plutôt que présenter la vie de Gilles de Rais sous l’angle d’une conversion au « Mal », d’un devenir Barbe-Bleue, d’une rupture entre un avant (foi dans le Bien, la justice, héroïsme) et un après (élection du Mal consécutive au désespoir dans lequel l’a plongé la condamnation de la Pucelle au bûcher), l’ouvrage dresse le portrait d’un homme divisé entre deux postulations, une sorte d’ancêtre de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Dilapidant sa fortune, menacé de perdre ses domaines, le seigneur de Rais s’adonne à la magie sous la férule de Francesco Prélati. Pacte faustien avant la lettre, invocations du démon Barron dans le but de réussir le Grand Œuvre, la transmutation des métaux vils en or… Gilles de Rais s’enfonce dans une voie sans issue…

Face à cette âme tourmentée, possédée par ses instincts, se tient son compagnon Jhen qui tente de ramener le Maréchal de France de Rais vers la lumière et la raison. Avec un rythme haletant, Le procès de Gilles de Rais interroge le moment où tout bascule. La rumeur des rapts d’enfants, des rituels sataniques prend de l’ampleur ; Gilles de Rais commet l’irréparable en molestant le prêtre Jean le Ferron. Celui qui, se pensant au-dessus des lois, ne doutait guère de son impunité se voit livré à la justice ecclésiastique, accusé de sacrilèges envers Dieu, envers l’Église, de sorcellerie, de commerce avec le diable, de viols et de meurtres d’enfants. Aux faits historiques connus qui marquèrent la fin de l’existence de Gilles de Rais ­— l’arrestation, l’emprisonnement, l’ouverture du procès devant le tribunal de l’Inquisition, la condamnation au bûcher, miroir du châtiment réservé à sa sœur d’élection, la Pucelle —, Pleyers et Néjib ajoutent des épisodes fictifs nimbés de surnaturel. Peu importe la justice des hommes. Aux yeux de Jhen, il faut sauver son compagnon, éveiller sa conscience, le délivrer de ses pulsions. Seule pourra l’aider dans cette mission spirituelle la mystérieuse statue de Vierge qui pleure. La prison qui retient Gilles de Rais captif, ce ne sont pas les murs entre lesquels on l’a enfermé, mais le royaume de son esprit.

Au fil de la magie du dessin de Jean Pleyers, du récit novateur de Néjib, la légende noire de Gilles de Rais est soumise à de nouvelles lumières, tout à la fois psychologiques, imaginaires et historiques. De l’emprise du grand-père Jean de Craon qui encourage les débordements, les folies de Gilles de Rais alors adolescent à la quête incessante d’excès à l’âge adulte, un des hommes les plus riches, les plus puissants de France livre ses angoisses intérieures, les forces contradictoires qui le déchirent.

« Et c’est l’âme déchirée que je m’en allai me promener dans la nuit noire de mes tourments. Celui que je considérais comme mon père [Jean de Craon] m’avait renié, rejeté comme le dernier des lépreux… Je trucidai mon premier enfançon quelques jours plus tard… ».

Les auteurs nous entraînent dans une époque dominée par la religion, par la dramaturgie du conflit entre la pureté et le péché, l’innocence et la faute. Nous assistons à la descente aux enfers de Gilles de Rais dont l’âme erre, livrée à ses folies, orpheline de la seule personne qui aurait pu le sauver, Jeanne d’Arc. Au bout du chemin, dans la tourmente des flammes qui embrasent Gilles, un ravissement de lumière s’empare du condamné, la lumière envoyée par son compagnon Jhen.

Véronique Bergen