Sur la route de soi

Dina KATHELYN, Passe le train, Academia, 2019, 154 p., 16 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-8061-0445-8

Dans ce roman de Dina Kathelyn, nous sommes plongés dans la vie d’Élodie, une jeune femme légèrement complexée et renfermée, qui ne se sent exister qu’à travers le regard de l’autre et qui n’arrive pas à se faire respecter parce qu’elle ne se respecte pas elle-même. Nous la suivons dans une tranche de vie d’une trentaine d’années. Une trentaine d’années où nous lisons sa vie professionnelle et familiale en filigrane et où sa vie amoureuse est au premier plan.

Nous découvrons au début du récit une Élodie enfermée dans un mariage de convenance qui va se jeter dans une passion dévorante avec Alexandre, un photographe renommé et impressionnant. De cette union naîtront deux enfants qui créeront peu à peu une distance entre la mère et le père, entre la femme et l’homme, qui deviendra de plus en plus jaloux et volage.

Notre héroïne est une femme clairvoyante, elle sait qu’elle se laisse éteindre par les hommes pour combler la solitude et le manque d’amour de son enfance, mais elle reste sous le joug de son inconscient, en attente peut-être d’un changement favorable ou de miettes d’amour… Traversée en permanence par des doutes et des questionnements, elle avance vaille que vaille, cherchant sa résilience à travers une relation passionnelle avec un beau Romain de 25 ans son cadet ou d’un pianiste aux fantômes et intolérances bien encombrants. Elle prend alors conscience qu’elle change de partenaire et de circonstances, mais qu’elle ne change pas. Pire, elle devient par mesure de protection une inconnue pour elle-même, quelqu’un qu’elle ne voulait pas devenir. Que faire pour enrayer cette répétition douloureuse ?

Je réalisais le vide que j’avais laissé se créer autour de moi ces dernières années. Pire encore, je prenais conscience que pour moins souffrir j’avais diminué la distance qui me séparait de Mathieu. Devenant critiquante pour supporter ses critiques, intolérante pour vivre avec son intolérance, injuste pour accepter son injustice, je n’invitais plus pour ne pas souffrir de ses refus d’inviter, m’éloignant de mes enfants comme il s’était éloigné des siens. […] Qui comprendrait ce que je ne comprenais pas moi-même ? Pourquoi pleurer cet homme que je refusais dans ma vie ? Pourquoi, brusquement, cette solitude à laquelle j’aspirais me semblait-elle dénuée de sens ? 

Passe le train est un récit qui dévoile la complexité des relations et du fonctionnement humains : on lit les attentes déçues avec les parents, les dialogues âpres avec les enfants qui grandissent, les dialogues de sourds dans le couple…

[I]l me fallut un grand temps de pratique de cet homme, et pas mal d’incompréhensions, avant que je ne décrypte le langage de son affect, que je ne décode ses périphrases, circonlocutions, détours, autour et alentours du pot. Oui, non, étaient pour lui mots inacceptables, choquants par l’absolu de leur signification, remplacés dans ses discours par de brumeux « peut-être » et d’équivoques « je ne sais pas ». Il pensait oui, disait peut-être, j’entendais peut-être, il croyait avoir dit oui… bonjour les malentendus. De même, plusieurs mois de dialogues furent nécessaires pour que je prenne conscience du poids des mots, du choc des mots, de l’ambiguïté des mots. 

On découvre que l’éloignement géographique peut être teinté d’une grande proximité affective, tout comme la vie commune au quotidien peut être synonyme d’un abîme avec l’autre et d’une incompréhension totale avec cet inconnu choisi comme partenaire. On lit des petits bonheurs, des grandes blessures, des attentes solitaires, des désirs ambivalents, mais aussi des réconciliations inattendues et des amitiés qui traversent le silence et le temps.

Passe le train est un roman qui nous montre avec finesse et justesse la richesse des errances, des chemins explorés et nous rappelle que la vie n’est pas rectiligne et lisse comme les rails d’un train. Il nous donne envie de nous perdre pour mieux nous trouver, de nous relever si l’on est à terre et de continuer à nous battre malgré les même si. Un récit empli d’une douce humanité.

Séverine Radoux