Et ce fut le baroque…

Agnès SAUTOIS, Riccardo ou Le copiste français, Mémogrames, 2019, 240 p., 18.00 €, ISBN : 9782930698670

Si Richard Delalande, italianisé en « Riccardo » a pu réellement exister, ce fut avec une majuscule discrétion qui l’éloigna des ouvrages spécialisés. Il paraît bien que l’on doive donc à Anne Sautois, auteure passionnée par les vies de compositeurs, d’avoir ouvert son propre imaginaire au vécu de ce copiste de partitions français, organiste au demeurant, et pour l’heure, neveu putatif de Michel-Richard Delalande, ce musicien français des XVIIe-XVIIIe siècles qui doit surtout sa réputation aux Symphonies pour le souper du Roy et sa popularité actuelle à l’étendard sonore des émissions de l’Eurovision. Pour éclairer le contexte musical de l’époque, le roman s’ouvre sur la relation des rivalités et bisbilles entre les différentes chapelles parisiennes et surtout entre les conservateurs, tenants de l’austère tradition française, et les partisans de la légèreté et de l’innovation italienne en matière notamment d’opéras (défendues bec et ongles par J.-J. Rousseau). Une joute que l’on retiendra sous l’appellation fameuse de  Querelle des Bouffons, attisée à Paris, au mitan du XVIIIe siècle, par la représentation d’un opéra italien qui contribuera pourtant à rapprocher les deux tendances : La Serva padrona, œuvre de l’Italien Giovanni Battista Jesi, mort en 1736 et plus connu sous le pseudonyme de Pergolese.

Et c’est bien l’auteur du superbe Stabat Mater que le livre d’Anne Sautois célèbre à travers les tribulations du copiste (sorte d‘astucieux  go between) révélées en majeure partie par son journal. Ce Riccardo, poussé par son célèbre oncle, quitte Paris pour effectuer en Italie le Grand Tour qui éveillera sa sensibilité et son imagination musicales. Cette initiation débute dès 1720 à Venise dont le jeune homme découvre aussi la splendeur et les divertissements somptueux comme le Mariage du doge avec la mer ou le Grand carnaval qui lui offrira une folle nuit d’amour avec une beauté aussitôt disparue. C’est à Naples que dix ans plus tard, l’aventure musicale se poursuit chez son ami Girolamo Sesti devenu impresario du jeune prodige Gianni Jesi-Pergolese, ce qui offre à Riccardo l’opportunité de devenir lui-même copiste de ses partitions. Tantôt porté aux nues, tantôt mis sur la touche selon les hasards des rivalités, des occupations étrangères et des convulsions politiques qui enflamment la ville et alternent les protecteurs des arts, le jeune Pergolese, éprouvé aussi par la mort d’une moniale qui lui était très chère, voit décliner sa santé déjà fragile et, sur avis médical, se retire dans un couvent de Pouzzoles, rejoint par Riccardo, où il meurt en 1736, à l’âge de 26 ans seulement, après avoir composé ce Stabat Mater qui restera son œuvre la plus émouvante. Quant au copiste, suite à l’appel de son ami Girolamo, il se rendra à Vincenza où il découvrera que son coup de foudre vénitien, bien que sans lendemain ne fut pas sans conséquence…

Au-delà du parcours romanesque de Riccardo et de la vie aussi courte que bien remplie de Pergolese, c’est surtout dans l’évocation très documentée et vivante d’un monde musical en pleine effervescence à cette époque où le style baroque s’épanouit que l’ouvrage d’Agnès Sautois force l’intérêt.

Ghislain Cotton