Au plus près des arbres

Philippe FIÉVET, Le temps des arbres, Rouergue, 2019, 276 p., 22 € / ePub : 16.99 €, ISBN : 978-2-8126-1857-4

Mon temps à moi s’était arrêté pour emprunter celui des arbres. J’allais peut-être pouvoir un jour me dissoudre dans le rouge de leurs frondaisons. »

« …je ne regardais plus les arbres autour de moi de la même manière : je recherchais leur compagnie, je me projetais en eux, je les voyais de l’intérieur. »

Avec ferveur, Philippe Fiévet nous raconte son histoire d’amour avec les arbres, depuis son installation à la campagne, voici bientôt vingt ans.

Il nous fait vivre l’éclosion d’un jardin à partir d’un terrain au sol nu et spongieux qui l’avait d’abord découragé, son épanouissement au fil des saisons. Un jardin qu’il a rêvé, porté, façonné, inspiré par « une quête de rouge ». Toute la palette des ors, orangés, rouges aux nuances infinies, dont témoignent quelques photographies aux couleurs chatoyantes. Un jardin qu’il contemple, respire avec le sentiment d’un accomplissement.

Nous suivons ses ardentes plantations, d’une vingtaine d’aulnes, familiers des terrains marécageux, à un cyprès de Louisiane. 

Un hêtre persan, surnommé arbre à perroquet, au feuillage magnifiquement coloré, le jour d’octobre de ses quarante ans. « …j’étais heureux comme un enfant devant son gâteau d’anniversaire, dont les feuilles scintillaient de toutes leurs flammèches multicolores. »

Des chênes, « les rois de la biodiversité », quelque quatre cent septante espèces et sous-espèces sont répertoriées sur la planète. Des érables. Des rosiers…

Plantations successives qu’observent avec un brin de perplexité ses trois enfants – Alexis, Anaïs et Julien, à qui le livre est dédié -, et qu’il qualifie drôlement d’ « obsessionnelles lubies végétales ».

Philippe Fiévet évoque un épisode décisif de sa vie : sa longue retraite au mont Athos, dans le monastère grec de Lavra, puis chez les moines serbes de Chilandar. Une année  hors du siècle, face à la mer Égée, dans une profonde solitude.

Il en reviendrait réconcilié avec lui-même, le caractère bien trempé. « Le mont Athos, c’était mon jardin secret. Durant le restant de mon existence, l’année que j’y avait passée revint ponctuellement hanter cette vie nocturne qui nous échappe, transformée par le temps qui s’est écoulé depuis et par ces rêves tenaces qui recomposent le passé selon leur fantaisie. »

Sur ses pas, nous rencontrons des pépiniéristes, des botanistes. Mais aussi une surprenante héroïne, la jeune Américaine Julia Hill, surnommée « papillon », qui vécut plus de sept cents jours sur une plate-forme dans les branches d’un vénérable séquoia que voulait abattre la Pacific Lumber Company. Elle ne consentit à redescendre sur terre que lorsque la compagnie s’engagea à préserver le séquoia millénaire et les arbres environnants.

Nous apprenons mille choses, notamment que la Chine est « l’eldorado du monde végétal ». Ou encore qu’un seul rosier peut combiner divers types de parfums… Et, surtout, comment la nature « peut guider notre voyage intérieur. N’est-ce pas Proust qui affirmait que le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ? »

Frappé par des deuils rapprochés, il médite pourtant avec sérénité sur le chemin parcouru, se partageant entre l’enseignement et la presse écrite, sans oublier le jardinage vigilant ! Et conclut avec un sourire : « Deux boulots, trois enfants et un jardin avaient le don de faire filer les aiguilles, pas toujours dans le bon sens, les levers et couchers du soleil se succédant à un rythme effréné. Seule la sagesse des arbres parvenait à me communiquer leur sérénité et je puisais dans leur compagnie la ressource et le réconfort dont j’avais besoin. » 

Francine Ghysen