Entre douceur et mélancolie

Jean JAUNIAUX, Belgiques, Ker, 2019, 124 p., 12 € / ePub : 5.99 €, ISBN : 978-2-87586-254-9

Nouvelles, souvenirs, évocations : les textes de Jean Jauniaux, réunis sous le titre Belgiques, égrènent sentiments, impressions, humeurs, couleurs.

On participe à l’exaltante, foisonnante préparation d’une série d’émissions historiques consacrées à la Révolution de 1830 dont la télévision entendait commémorer, en septembre 1980, les cent cinquante ans. Épisode décisif dans la vie de Jean Jauniaux, fraîchement sorti de l’INSAS, que l’un de ses professeurs lance dans cette aventure. « C’est là que surgit dans ma vie le miracle de la Révolution de 1830. » L’horizon s’ouvre et, avec lui, la chance de pouvoir rencontrer – et collaborer avec – des personnalités tels Jacques Cogniaux, Jacques Brédael, Armand Bachelier… Un premier contrat d’emploi s’apparentait ici à un moment de grâce. (Une journée hors norme)

On partage sa joie fulgurante d’écolier timide, mal intégré dans sa classe (son père avait désiré qu’il commence ses humanités dès dix ans, âge « aberrant » qu’il cachait anxieusement à ses camarades, mais qui le tenait inévitablement à l’écart), le jour de 1967 – il a treize ans – où, l’athénée de Mons célébrant le trentième anniversaire de l’attribution du prix Goncourt à son éminent ancien Charles Plisnier, c’est sa dissertation qui est mise à l’honneur et obtient un exemplaire 20 sur 20. (Plisnier en 1967)

Souvenirs d’enfance et d’adolescence dans la maison d’Écaussines, aux côtés d’un père professeur, « un homme de l’écrit. Radical. Excessif ». Résolu à se couper du monde environnant. Ni téléphone ni télévision sous son toit, ce qui ne laisse guère de chances à son fils de prendre sa place parmi ses condisciples. (Fête nationale)

On s’émeut de la fraternité qui l’a lié à Attilio, qui lui a confié un jour, en larmes, le drame de la mort de son père dans la catastrophe du Bois du Cazier. (Attilio)

Et l’on aurait aimé rencontrer Philippe Stiévenart, lecteur passionné, initiateur, à Warzipont, de Radio Terrils. « Il naviguait sur un voilier blanc et léger fait de pages de livres, que ses yeux rêveurs parcouraient sans faire escale. Les mots étaient les balises de son rêve. » (Pays noir)

Plus loin, on s’amuse du voyage imaginaire, à la découverte de la Chine, d’Albert, « infatigable fabulateur » dont la faconde subjugue ses amis, devant lesquels il ne veut à aucun prix avouer qu’il ne s’est pas réveillé, le matin du départ, et a raté l’avion…! (Chine)

Au fil des pages redeviennent proches, présents parmi nous, Louis Piérard (Le Club des écrivains belges) ; Théo Fleischman (INR) ; Achille Chavée (Muette émeute).

Et comment ne pas reconnaître, à l’unisson avec l’auteur, « cette vertu irremplaçable de la littérature de fiction : celle de miroir fraternel, dans lequel le lecteur peut découvrir son double, un autre soi qui traverserait les mêmes épreuves et qui, ainsi, le rend moins seul à les affronter. » (Muette émeute)

Le dernier texte se lit, le cœur noué : il garde, ineffaçable, le regard d’adieu entre une mère et son petit garçon de quatre ans, qui s’est glissé la nuit dans la chambre qu’elle ne quittait plus. « À cet instant où un dernier sourire a illuminé ton regard, la vie en toi s’est éteinte. » C’était le 10 mars 1958, l’année de l’Exposition universelle de Bruxelles. (Une année universelle)

Francine Ghysen