Anamnèse et Graal intime

Philippe REMY-WILKIN, Vertige !, MaelstrOm, coll. « Bookleg Bruxelles se conte », 2019, 36 p., 3 €, ISBN : 978-2-87505-347-3

Le récit Vertige ! est bâti à l’image du tableau Vertige, l’escalier magique de Spilliaert, qui figure en couverture. Avec brio, entre impossible anamnèse et démon de la logique, Philippe Remy-Wilkin campe une fiction aussi entêtante qu’un breuvage. Sur fond d’un questionnement sur le règne de Léopold II, sur les coulisses sanglantes de la colonisation du Congo, une machine infernale (au sens de Cocteau) se met en place : à l’occasion d’une mystérieuse invitation à se rendre au Musée de Tervueren, le narrateur se retrouve embarqué dans une tectonique des plaques touchant l’Histoire et son histoire familiale. Rythmée par la voix posthume de la mère, l’architecture du récit adopte un mouvement tout en spirale. Comment lever la chape de plomb des non-dits qui écrase les siècles ? Pourquoi le narrateur en vient-il à soupçonner un « rosebud » refoulé derrière sa passion de l’Histoire ? La déambulation, la visite ethnospatiale dans les salles du Musée de Tervueren catalyse une descente spéléologique dans le temps. Quel lien ombilical avec l’Afrique a-t-il occulté ? Dans le sillage de la mort de la mère, des zones intimes tenues dans l’ombre réclament un passage vers la lumière.

À la manière d’une taupe, l’écrivain est celui qui creuse des terriers, des tunnels, qui, fût-ce à son corps défendant, traque dans les régions souterraines de l’inconscient des secrets dans le placard. Dans ce labyrinthe physique et psychique, la voix maternelle ne déroule pas un fil d’Ariane mais décoche à l’égard du fils un chapelet de constats, de reproches.

« N’ai-je pas aluni à l’endroit idéal pour une perception globale de l’Histoire belge ? De mon histoire ? »

Se faire le détective de soi-même, marcher sur les traces de l’enquête menée par Œdipe ne garantit nullement la dissipation des voiles qui, en amont, épaississent l’existence. La fiction, son « mentir-vrai » comme disait Aragon, n’est-elle pas le médium le plus approprié pour tenir un bout de réel, pour faire main basse sur un fragment de vécu que les parents ont forclos  que le fils a refoulé ? L’histoire familiale a-t-elle été colonisée par un secret jalousement gardé, emmuré de génération en génération ? Ce n’est ni une petite madeleine ni  les arbres d’Hudesmenil qui soulèveront des phénomènes de réminiscences tardant à délivrer leur vérité, mais une convergence de stimuli orphelins de toute réponse. L’écrivain est avant tout le lecteur des signes que le monde émet.

Dis-moi quels sont tes héros préférés et je te dirai qui tu es. Nul étonnement que Philippe Remy-Wilkin se penche sur sa prédilection pour Perceval. Taillé dans l’innocence, c’est de se murer dans le silence que Perceval échoue, lors de la première épreuve, à délivrer le Roi-Pêcheur. À partir des échos qui le relient à Perceval, découvrira-t-il son Graal intime ? Quel est le prix à payer pour accéder à la révélation ? Faut-il traquer l’ombilic des marécages familiaux ou préférer des biographèmes à géométrie mouvante, pris dans le clair-obscur des toiles de Léon Spilliaert ?

Auteur des romans Lumière dans les ténèbres, L’œuvre de Caïn…, d’essais historiques, Philippe Remy-Wilkin explore dans un récit aussi compact qu’hypnotique le dédale des faits, de leur aura tremblante, sachant qu’« il n’y a pas de faits, seulement des interprétations » (Nietzsche). Rien de plus ardu que devenir le Champollion de la pierre de Rosette qu’on porte en soi, que les géniteurs nous ont léguée. Si, toutefois, une force irrésistible, doublée d’un impératif catégorique, nous intime de décrypter nos palimpsestes existentiels.

Véronique Bergen