Convulsions du verbe

Otto GANZ, L’œuvre de convulsions, Taillis Pré, 2020, 84 p., 12 €, ISBN : 978-2-87450-154-8

Sous une diversité  d’expressions — poétique, romanesque, plasticienne —, l’œuvre d’Otto Ganz se confronte aux expériences-limites et s’adonne à la traversée des apparences. La radicalité de son geste se traduit dans le choix de la densité. Une densité atomique de la pensée et une densité intensive du verbe qui se tiennent au plus loin de la pesanteur et des conventions.

Le recueil poétique L’œuvre de convulsions se construit autour d’un motif d’écriture ganzien présent dans ses autres recueils : la répétition d’un ou de syntagmes, qui assied la rythmique textuelle. Chaque poème s’ouvre sur une trinité lexicale — « En ce jour » — et scande sa progression par l’itération de la formule « Et la nuit suivra », une formule qui fait office de pivot entre les deux tercets inauguraux et le tercet final suivi d’un vers solitaire conclusif. Si on peut y voir une double répétition (d’abord liminale, ensuite centrale) qui sous-tend l’architecture du poème, on peut aussi les appréhender comme une entame et une charnière, un pivot traduisant l’éternel retour du verbe et de ce qu’il phrase. Un pari pour un cheminement qui, d’une part, emprunte le défilé du temps et, d’autre part, échappant à Chronos, s’inscrit dans un perpetuum mobile.       

En ce jour
on parlera hébreu
sur toutes les pavées de Palestine

comme on pleure et célèbre
le départ de l’inutile
des hommes

Et la nuit suivra

Entre convulsions et apaisement, les poèmes-psaumes d’Otto Ganz font l’épreuve de la violence de l’Histoire, de l’horreur qu’ils regardent en face, de l’irruption du nouveau qu’ils accueillent. Les « greniers de saint Antoine », les bûchers, « le calendrier des incendies » où périssent les livres, l’errance des hommes, l’assignation à résidence des nomades, les mouvements des peuples qu’Otto Ganz convoque relèvent tout à la fois de l’Histoire et du mythe. De l’Histoire car ils paraissent ancrés en elle, du mythe car ils se situent hors de l’abscisse et de l’ordonnée d’un référent précis. Sa poésie se tient face à ce qui défait et refait le monde, face à ce qui décompose le haut et le bas, au point de réversibilité du « funeste » et du « bénit », du théologique et du païen.

Comparaissant dans les citations en exergue, Marie-Madeleine et l’ange ouvrent une scène christique qui, excédant ses origines, se fait symbole de l’aventure du vivant.

Les poèmes officient la nomination de ceux qui arrivent et de ceux qui partent. Confiant dans l’advenir du futur que traduit le futur simple du vers auroral et de « Et la nuit suivra », le poème scrute la levée de l’aube, le changement de saisons, les soubresauts de la géohistoire. La formule prophétique « Et la nuit suivra » nous dit que le présent ne sera pas le cercueil du lendemain car

En ce jour
on se rejoindra
dans le recueillement

alors conduit
par la conviction intime
qu’autre chose est né

Véronique Bergen