Vertige de l’amour

Natacha DIEM, L’invention d’Adélaïde Fouchon, Piranha, 2020, 208 p., 18 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2371190818

Deux Adélaïde se racontent. Il y a d’abord la petite fille, du genre « garçon manqué », skateboard sous le bras, qui pourtant rêverait de ressembler aux autres petites filles en jolies robes, cordes à sauter en mains. Il y a ensuite la femme qui, apprenant le décès de son père, part à la rencontre d’elle-même. Deux récits se racontent, se construisent parallèlement, se croisent, se répondent et s’éclairent l’un l’autre.

Adélaïde a huit ans. Son enfance ne l’intéresse pas. Elle aimerait grandir et attend que le temps passe. Elle idolâtre son frère, de sept ans son aîné, qui ne jure que par les USA et collectionne les petites copines. Son environnement familial est singulier. Elle a l’impression de venir d’une autre planète. En plus de sa mère et de son père biologique, un deuxième père, François, les accompagne. Secret qu’elle se tient bien de raconter autour d’elle. Adélaïde a appris à vivre au milieu de ce ménage à trois, entre les disputes, ses deux pères qui se donnent souvent la main et délaissent sa maman, les bousculades et les fugues de sa mère. Elle trouve refuge auprès de sa « confrérie », véritable ménagerie : chien, chat, poule, hamster, poisson rouge, âne et même cheval… Seuls ses animaux de compagnie semblent la comprendre. À l’école – une institution catholique très conservatrice –, elle parvient à exister aux yeux des autres en attirant l’attention sur elle, en s’inventant une vie. L’humour est l’une de ses armes préférées. La petite fille grandit. L’adolescente vit ses premiers amours, l’éveil de sa sexualité. Les petits copains se succèdent, certains la marquant plus que d’autres, jusqu’à cette rencontre au Festival de Cannes qui va tout chambouler.

Adélaïde a quarante ans. Elle aimerait retrouver la petite fille qu’elle était ou n’a pas été. Entre ses deux enfants, Johan et Balthazar, qu’elle couve énormément, son mec et son boulot, elle ne sait plus qui elle est. Elle se sent transparente, inexistante. La mort de son père chamboule toute sa vie affective. Elle veut à présent vivre pour elle et entreprend une longue introspection. Elle ne sait plus qui elle est, si elle veut encore de sa vie, si elle aime encore son compagnon qui parfois l’énerve au plus haut point, parfois l’attire à en devenir folle. Quels sacrifices celui-ci serait-il capable de faire pour elle ? Viennent l’enterrement, le deuil, le rangement des affaires personnelles de son père. C’est douloureux. Puis, la vie reprend son cours, mais des interrogations subsistent. A-t-elle envie de rester avec l’homme qui partage sa vie ? Doutes, adultère, souvenirs, séances chez le psy… Adélaïde s’interroge, fouille son passé pour trouver des réponses. Est-ce le mode de vie adopté par ses parents qui a marqué sa vie affective de manière indélébile ?

Par cette double narration fragmentée, Natacha Diem nous entraîne sur le chemin de la construction d’une identité. Celle d’une petite fille qui ne trouve pas sa place, d’une adolescente qui se cherche, d’une femme qui perd pied pour mieux se retrouver. Le rapport à la sexualité – sa découverte, son exploration, la peur ou les questions qu’elle peut provoquer – et plus largement à l’amour est omniprésent. L’amour des autres, mais aussi de soi. L’auteure évoque un milieu familial particulier. Il faut se replacer trente ans en arrière, à une époque où les couples homosexuels n’étaient pas très médiatisés, encore moins les ménages à trois. L’invention d’Adélaïde Fouchon interroge aussi la question de la normalité. La langue – volubile, imagée, à fleur de peau – suit le cours des pensées d’Adélaïde et emprunte parfois d’étranges chemins psychiques. Les mots de l’enfant – ronds, expressifs – se distinguent de ceux de l’adulte, plus posés. Ce premier roman, publié aux éditions Piranha, est bon comme du pain, est doux au palais comme la plus légère des madeleines de Proust. À sa lecture, de nombreux souvenirs nous submergent également et l’enfant qui sommeille en nous se réveille.

Émilie Gäbele