Cabinet de lettrosités

Tristan ALLEMAN, Sarabandes, Chat polaire, 2019, 104 p., 12 €, ISBN : 978-2-9311028-04-9

Depuis Prélude jusqu’à Silence, Sarabandes de Tristan Alleman sculpte 88 pages de petits objets littéraires qui sont autant de déridantes dérisions et de petits dérèglements. Vingt heures : l’heure du crime. Le fantôme est en avance. Chaque textes est un petit pavé astucieusement taillé et amusément jeté dans la marre du bon sens. Il éclabousse l’esprit de pensées nouvelles a priori sans connexions. Pourtant pertinentes : Que seraient châteaux et manoirs sans leur hantise ?

Ceci est à réfléchir dans Le train, en regard du cou d’une girafe dont le moral en prend un, suite à son obscure condamnation à la pendaison. Ce qui nous déraille via Jadis à Les pleurs, détaillant certaines raisons « absurdoniriques » pour lesquelles les hommes s’enlarment. Et ce n’est pas Le samouraï atteint de daltonisme (ou dyschromatopsie) qui viendra vous contrelire cela. D’ailleurs, Une chaise grinçante est souvent bien heureuse de côtoyer la forme du postérieur qui s’y installe. C’est évident.

Et c’est très musical. Le signifié, fier et s’y fiant, se soumet aux rythmes rapides, aux cadences continues, aux mouvements mélodiques des mots. Ne remuez plus un doigt. Ne pensez plus à rien. Restez immobile durant des heures. Vous vous fatiguerez. Il faudra vous reposer. Méritoirement. Nul silence, la partition est pleine : il faut suivre et tenir la note imposée par un phraseur et farceur semblant écrire aussi vite qu’il ne découvre lui-même ce que sa plume trace à l’encre de son inspiration ; toutes deux connectées comme pour un don de sens.

Généreux et surréaliste, Tristan Alleman livre des dizaines de textekes chapitrés par des noms de danses plus ou moins familières qui mettent dans d’excellentes dispositions et humeurs : Forlane, Pavane, Gavotte, Sarabande, Chaconne, Tambourin et Gigue. Tourneboulé, le lecteur entre facilement en conversation intime avec l’auteur qui saute du coq à l’âme sans bousculer personne, dans un tournis de soie et de bonne rumeur, pris par ses pas et dans ses pieds en vue de retourner l’esprit du partenaire comme un soleil railleur. Rock’n roll.

Car s’agissant de danses avec les mots et de petites statuettes littéraires, chaque pièce donne l’impression de pouvoir tourner les phrases en tous sens, comme des objets en trois dimensions. Souvent, la fin du texte répond directement à son point de départ via des circonvolutions libres, étonnantes, parfois lointaines et pourtant de retour en quelques mots inattendus. Les textes deviennent ainsi de délicieux petits artéfacts rangés dans un cabinet de lettrosités, glanées au détour d’un bon moment, tel une heureuse insomnie poussant à La promenade.

Cette nuit, un hérisson gambadait dans notre jardin. Il y a élu domicile. Il est heureux et il pique moins. Il est accueillant et discret. La discrétion est souvent bonne conseillère. Elle vous évite des rencontres inopportunes. Qui peuvent s’avérer très désagréables. Soyez positifs. En électricité, cela ne suffît pas si vous voulez du courant continu. Aussi préférez l’alternatif. Vous saccaderez, vous bégaierez, vous tousserez. Un bon produit pharmaceutique calmera votre toux, votre bégaiement, vos saccades. Certes un peu malade, vous ne courrez plus. Déambuler lentement avec aisance vous suffira sans doute. Vous irez moins loin moins vite. Un tour de jardin nocturne sera positif et agréable. Sauf si vous marchez sur un hérisson.

Tito Dupret