La Meute au bord de l’émeute

Chloé DESPAX et Nora BOULANGER-HIRSCH, Meute, fiction sonore, d’après un texte de Ludovic Drouet. Prise de son et mixage de Pierre Devalet, montage de Chloé Despax et Nura Boulanger-Hirsch, URL : https://soundcloud.com/chloedespax/meute

meute fiction radiophoniquePremier volet du triptyque Baron Samedi, écrit par l’auteur de théâtre Ludovic Drouet et monté par Chloé Despax et Nura Boulanger-Hirsch, la fiction radiophonique Meute livre un conte noir doux-amer, entre rêverie tendre et apocalypse, harmonie champêtre et rupture violente, sous le signe de l’inquiétante étrangeté.

Un homme (interprété avec brio par le comédien Didier De Neck) vit retiré à la campagne. Dans une petite zone de cinq petits villages survivant autour d’une unique grande surface. Il vit seul. Dans le regret d’une compagne qui lui disait de ne pas trop regarder ses souliers en marchant. Qui était cette femme ? Comment ou pourquoi a-t-elle disparu ?

L’homme se promène chaque jour, en regardant ses pieds, en sachant qu’il devrait lever le regard. Il remarque pourtant un chien, qui le suit jusque chez lui. Il est content. Ce soir, il partagera son repas, un steak pour chacun, l’homme et l’animal. Mais, le lendemain, deux chiens, cette fois, croisent sa balade et le suivent. Il décide d’aller se renflouer au supermarché pour élargir la tablée. Le surlendemain, trois chiens apparaissent. Puis quatre, puis cinq, sans cesse davantage. Un jour, il n’a pas de quoi sustenter ses invités et l’un d’eux lui mange la main. Il continue pourtant à se réjouir de croiser des chiens, de les voir le suivre et partager ses repas. Jusqu’où cette situation peut-elle perdurer ? Jusqu’où l’interaction homme-animaux peut-elle les mener ? Le supermarché, les villages sont-ils en danger ?

Derrière un texte fluide et vivant, des allures de conte, animé par un excellent comédien et ambiancé par des bruitages inquiétants, le récit interpelle et questionne.

Il y a, tout d’abord, le poids de la solitude qui peut frapper chacun, l’ablation d’une histoire qu’on ne peut partager. Il y a la violence aussi, larvée puis concrète. Le besoin de se fondre dans une meute, une appartenance à un groupe, de flécher sa vie, ses actes. Le besoin d’appartenance aux autres : supérieur au besoin d’appartenir à soi ?

Au-delà d’une narration qui déserte la banalité d’un quotidien maussade pour se déployer dans le règne du fantastique, faut-il envisager une métaphorisation du besoin d’association qui, mal négocié, peut mener à la mafia, à un groupuscule terroriste, à une secte, dans une perte de repères et d’autonomie ? Ou alors – et une création peut échapper à ses créateurs – pourrait-on y lire un fantasme lié à la migration ? Un peu sur le modèle du radeau à la dérive après un naufrage ? Une bonne âme revient en arrière pour embarquer un rescapé. Mais un deuxième nageur tend la main, un troisième appelle à l’aide et, bientôt, l’embarcation chavire. Où placer la barre entre idéalisme et pragmatisme ? Jusqu’où peut-on aller en restant soi-même avant de basculer ? Comment s’adapter à l’autre sans renoncer à soi ?

Julien-Paul Remy