Neutre, ou un « soleil sans ombre »

Jean-Marie CORBUSIER, De but en blanc, frontispice de Dominique Neuforge, Taillis Pré, 2020, 124 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-169-2

« Alors dans un frisson, s’ouvre l’espace derrière nous, seule confidence possible. »

De but en blanc, le dernier opus en date de Jean-Marie Corbusier, publié au Taillis Pré, laisse entrevoir un grand lecteur de la poésie d’André du Bouchet. De fait, celui-ci est explicitement cité à la page 78 du recueil, après Philippe Jaccottet et Yves Bonnefoy dans les pages précédentes. Sans doute issue de cette constellation poétique (rappelons que la revue L’éphémère a notamment lié Yves Bonnefoy et André du Bouchet à la fin des années 1960), la voix de Jean-Marie Corbusier se distingue toutefois par une poétique de la neutralité, très sensible. Entre l’aube et l’ombre, la parole de Corbusier tente de capter et de formuler les éclaircies : celles-ci semblent émaner d’un « feu pâle sa flamme tremblée ».

Dans De but en blanc, la parole tremble en effet, elle frémit entre l’absence et la présence, elle s’énonce dans des mots à peine prononcés ou dans des éclats de voix. Elle ne recherche ni l’élan lyrique qui mènera la parole plus loin qu’elle-même, ni le mutisme qui amène la qualité du silence en deçà de lui. Se tenant éloignée des jeux de signifiants, elle fait toutefois la part belle à la recherche d’une justesse, un but, quand bien même elle buterait en se confrontant à la dimension du blanc.

Nous sommes partout
à larges traits de feu
la nuit croule
à travers nos ombres
un espoir blanc
une rafale
le dehors serré contre nous
les murs à peine
nous pâlissons
ce ne sont que des mots
l’ailleurs désespéré. 

Entre l’ « ailleurs » et le « nulle part » (termes récurrents dans le recueil), un mouvement, une marche est possible là où la parole ne parvient pas à saisir l’insaisissable des lieux où nous déposons nos pas. Les inflexions typographiques, peu nombreuses mais néanmoins assez saisissantes, le disent assez : il s’agit aussi, dans le recueil, de se situer.

départ
ce jour
rendu à sa disparition

pour cette lampe
comme pour la parole
l’infini est le jour 

Dans De but en blanc, « entre don et retrait » est la voix de Jean-Marie Corbusier. Comme l’est la lumière, comme l’est la parole « qui cherche sa voix », comme l’est la « soif ». Comme le sont tous les interstices de vie, dans lesquels la parole s’immisce pour s’avouer vaincue.

Charline Lambert