Le chemin de la résilience

Racha MOUNAGED, La blessure, Complicités, 2020, 168 p., 13 €, ISBN : 978-2351202722

Le roman débute par un événement inattendu. Nous sommes à Beyrouth, dans les années 1990. Jad, un jeune adolescent, s’en prend, sans raison apparente, à un camarade de classe et le poignarde avec un couteau à huîtres. Comment le jeune garçon, promis pourtant à de brillantes études, en est-il arrivé à commettre cet acte insensé qui le mènera en centre de rééducation ? Retour en arrière.

Quelques mois plus tôt. Jad grandit auprès de sa sœur Lisa et de sa mère qui se saigne aux quatre veines pour ses enfants qu’elle élève seule. Le père est absent. On ne sait pas où il est, ni ce qu’il est devenu. Il semble être parti, criblé de dettes, sans un au revoir. Jad se retient de poser des questions à son sujet : c’est l’homme dont on ne doit pas prononcer le nom. Le Liban sort à peine de quinze années de guerre civile. Les affrontements et les bombardements sont encore très présents dans les mémoires. Les stigmates de la guerre sont visibles partout. Des quartiers entiers de Beyrouth ont été complètement défigurés, ses édifices évoquant « les sculptures inachevées d’un Rodin ou d’un Michel-Ange ». Son peuple meurtri continue malgré tout à avancer.

Jad est un garçon solitaire très sensible, en manque d’affection et terrorisé par la guerre. La peur du conflit et l’ombre de la mort rôdent dans sa chambre d’enfant. Il se réfugie dès que possible dans ses lectures, ses rêves et ses pensées. Dans le lycée international de Beyrouth qu’il fréquente, il y a beaucoup de fils et filles de bonne famille. Les classes moyenne et aisée de la capitale libanaise ne semblent pas être touchées par la guerre. Elles continuent leur vie, riantes et insouciantes. Jad a peu d’amis, si ce n’est Raphaël qui l’invite parfois. Il y a Youssef qui n’arrête pas de l’ennuyer et de se moquer. Jad aime passer du temps auprès d’Abu Ali, un vieux pêcheur vivant dans une petite cabane en bord de mer, avec ses deux enfants, Jana et Adonis. Mais Abu Ali est menacé d’expulsion. Jad consacre le plus large de son temps à étudier. Il doit partir à Athènes pour participer au concours international d’histoire. Il s’abreuve dans le ruisseau des connaissances car l’instruction est sa seule porte de sortie. Tous les espoirs de la famille reposent sur lui.

Nous ne dévoilerons pas la suite de l’histoire. Le lecteur doit remonter le fil du temps avec Jad, se baigner dans les strates de sa mémoire, vivre ses souvenirs d’un bonheur familial avorté, partager ses craintes, ses rêves de jeune adolescent. Racha Mounaged signe un premier roman très réussi, qui traite brillamment de la mémoire, de la guerre, de l’identité, de l’amitié et de la résilience. À travers ses mots, on sent toute la joie et la tristesse de cette jeune Belgo-Libanaise, mais aussi tout l’amour qu’elle porte à son pays meurtri. On sent également toute sa colère contre des années d’une politique ne rendant service qu’aux plus forts. Comment ne pas songer, à la lecture de ce roman, à la terrible explosion du 4 août dernier qui a ravagé le port de Beyrouth ? Cette ville qui semble s’être toujours relevée du chaos. Ce pays qui « en proie aux flammes, livré aux passions, aux armes, aux idéologies » a toujours su panser ses plaies. La blessure – à travers le parcours de ce jeune garçon – en est un percutant témoignage. Notons également la très belle couverture du roman, un tableau de Tom Young, qui montre, entre tristesse et espoir, un adulte et un enfant, main dans la main, au milieu d’un champ de ruines.

À plusieurs reprises, l’auteure nous régale de belles descriptions, que ce soient des souvenirs, des rares moments de bonheur, mais aussi de terribles panoramas de la guerre ou de violentes disputes familiales. Elle décrit avec volupté les délices de l’enfance : les jeux où l’on se fait peur, les parties de football improvisées, les premiers baisers volés… Mais toujours l’ombre de la guerre rôde. Le lecteur est emporté dans ce roman et se laisse contaminer par les angoisses et les rêves du jeune Jad. La blessure parle avec beaucoup de justesse des non-dits et des sujets tabous qui causent de nombreux torts dans les ménages. Racha Mounaged tient le lecteur en haleine jusqu’à une fin bouleversante d’espoir.

Un très beau premier roman et, nous l’espérons, le premier d’une longue série.

Émilie Gäbele