Herbier de l’instant

Jean Luc WERPIN, Menues monnaies, Jacques Flament, 2020, 98 p., 10 €, ISBN : 978-2-36336-445-6

Jean Luc Werpin verse dans le haïku comme un enfant plonge dans une meule de foin. Il s’y enfonce à se perdre et l’air hirsute, il en ressort plein d’épis et de fétus accrochés aux vêtements, de poussières et de pollens sur le visage comme autant d’étoiles dans les yeux. Une à une, il extrait ses ardentes et hasardeuses prises des mailles de ses habits pour les rassembler aujourd’hui, tel un herbier disparate, dans un recueil nommé Menues monnaies.

mot à mot
je découpe le silence
~ écoute

Sa mitraille est le revenu de campagnes de chasse aux impressions nouvelles, arrachées sur le terrain du réel. Il y cherche la bonne formule, la bonne idée, la bonne image, le bon mot, susceptibles de modeler ses expériences poétiques en trois vers très courts et qu’il espère intenses. Telle est la démarche de l’auteur, dont c’est la première publication, après de nombreuses participations et collaborations, essentiellement en ligne.

mots vagabonds ~
vos itinéraires clandestins
me comblent

On le sait, le haïku a un succès phénoménal sur les réseaux sociaux car sa forme très brève s’y prête parfaitement et offre, s’il est réussi, un accès immédiat à un contenu immanent. Le Japon est sa terre natale et, là-bas, c’est par millions qu’ils sont produits et publiés, voire exposés sur écrans géants, par simple envoi d’un texto. Bien sûr, la quantité reste l’ennemie de la qualité, mais rien n’y fait, le résultat est tellement satisfaisant en regard de l’effort fourni, qu’il est difficile de résister à partager sans compter.

le temps ~
toujours en liberté
cet assassin

À tel point que les règles pluriséculaires à respecter par les auteurs, ne le sont plus sinon cette extrême brièveté. Au placard le nombre des pieds par vers (5-7-5), la structure narrative ternaire, la présence d’un mot saisonnier, l’absence d’ego et j’en passe. Le net fourmille de listes de points auxquels le haïjin doit se soumettre pour mériter ce titre et tutoyer les grands auteurs, révérés par l’immense communauté des pratiquants.

yeux clos
noyé dans l’infime
cet infini

Dans le cas de Menues monnaies, la prise de liberté quant aux lois du haïku est assumée et justifiée dès la quatrième de couverture : Les textes ici se situent au confluent de diverses inspirations aussi éloignées les unes des autres que la tradition littéraire japonaise selon Bashô et l’environnement culturel de l’auteur.

de bric et de broc
mes mots me racontent
~ un peu beaucoup

C’est donc dans cet esprit que Jean Luc Werpin a bataillé pour être publié. On peut le comprendre : dans le torrent continu des haïkus, le livre permet de fixer ce qui a la valeur d’un battement d’aile de papillon. Lui seul peut pérenniser la fugacité qui fonde le tercet nippon : une sensation furtive, inattendue, innocente, paisible, sincère, révélatrice, pratiquement mort-née, ô combien volatile, éphémère ; et gratuite.

haïku écrit ~
j’offre du temps
à l’instant

Menues monnaies est ainsi la tentation et la tentative de compter, d’exister, voire de briller dans un multivers d’étincelles échappées de comètes se consumant aux confins de cieux intérieurs ; cosmos enclos des haïjins. Pour preuve, cet appel récent de Jean Luc Werpin, entre autres publications en ligne : « … les Japonais qui pratiquent cette langue apprécient mes haïkus, mais les grands maîtres francophones m’ignorent… »

Ceci impose de sortir du degré zéro de l’écriture selon Barthes. Au point que la fameuse question quant à séparer ou non l’auteur de son œuvre peut ici être reformulée : est-il au service de son œuvre ou bien est-ce l’inverse ? 

tue
l’indifférence tue
en silence

Tito Dupret